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VOLUME XI:1
January-June 2021 LE DIALOGUE CHRETIEN-BOUDDHISTE :
Dimension prophétique du dialogue interreligieux monastique
Abstract Introduction
Plusieurs penseurs occidentaux font état du caractère unique et déterminant du dialogue entre chrétiens et bouddhistes pour le devenir des deux religions et pour celui du monde. Dennis Gira termine son livre Comprendre le bouddhisme en ces termes : « une rencontre authentique entre ces deux grandes traditions rendrait service aussi à toute l’humanité en mettant en valeur la dimension spirituelle de l’homme, et c’est peut-être la condition de sa survie. »[1] Des propos de la part de partenaires bouddhistes, tirés du bulletin du DIM·MID,[2] vont aussi dans ce sens : selon Yamada Koun Roshi, si un point de contact entre le zen et le christianisme pouvait être découvert, ce serait un epoch-making event en faveur du progrès culturel et de la paix mondiale.[3] Masao Abe considère, quant à lui, que les deux religions sont en mesure d’entrer dans un dialogue profond et créateur, capable de surmonter les idéologies antireligieuses.[4] Ces avis suffisent à suggérer que le dialogue entre moines chrétiens et moines bouddhistes procure au DIM·MID une dimension prophétique qu’il importe de mettre en valeur aujourd’hui plus que jamais, en ces temps de crise généralisée.
Est prophétique toute personne, organisme ou courant de pensée qui comprend avant les autres les enjeux d’une situation menant inexorablement à une impasse, qui en dénonce les mécanismes aliénants et propose les moyens de la transformer en passage vers un renouveau libérateur. Ce rapport étroit entre situation présente et situation à venir est décrite ainsi par Karl Rahner :
Dans la mesure où la saisie d’une situation concrète par rapport au salut implique inévitablement une pré-vision du futur […], on peut également attribuer au prophète – d’une façon plus ou moins explicite – une aptitude à interpréter le présent en en dégageant la dynamique par rapport au futur […].[5]
Il faut ajouter que cette aptitude, qui a pour but de porter la révélation divine, ou pour le dire autrement de proclamer le Royaume, dans un monde qui en a perdu l’accès, est un don de Dieu. Or, il y a cette conscience au sein des moines en dialogue que l’expérience profonde du dialogue s’apparente à une initiative divine. Dieu guide l’homme sur des voies nouvelles, parfois au plus grand étonnement de ce dernier,[6] où l’altérité est porteuse du divin ; le dialogue consiste alors, selon Jean Paul II, « à laisser Dieu être présent en nous, dans la mesure où s’ouvrir les uns aux autres, c’est aussi s’ouvrir à Dieu. »[7] Aussi le MID prend-il la mesure du rôle des principaux pionniers de son mouvement, à savoir Thomas Merton, Henri Le Saux et Bede Griffiths, qu’il qualifie de prophètes par la voix de son bulletin.[8]
Le DIM·MID joue ce rôle prophétique dans sa promotion du dialogue de l’expérience religieuse que le Secrétariat pour les non chrétiens définit en 1984 de la façon suivante :
À un niveau plus profond, les hommes, enracinés dans leurs traditions religieuses peuvent partager leurs expériences de prière, de contemplation, de foi et d’engagement, expressions et voies de recherche de l’Absolu. Cette forme de dialogue est un enrichissement mutuel et une coopération féconde pour promouvoir et protéger les valeurs et finalités les plus élevées de l’homme. Le dialogue religieux conduit naturellement à se communiquer les uns aux autres les raisons de sa propre foi et ne s’arrête pas devant les différences, parfois profondes, mais se soumet avec humilité et confiance, à Dieu ‘qui est plus grand que notre cœur.’[9]
Il faut rappeler que ce type d’échange, dans sa reconnaissance officielle, est directement liée aux activités du DIM·MID ; il fut ajouté aux trois autres dialogues – de vie, d’action et d’experts –, à la suite du séjour de moines européens en 1983 dans des monastères Zen au Japon, à l’occasion du deuxième Échange spirituel Est-Ouest.[10] Ici, deux remarques s’imposent ; premièrement, le bouddhisme n’est pas le seul partenaire avec lequel cette forme de dialogue prend forme ; Le Saux qui en est l’un des pionniers les plus notoires s’inscrit dans une relation avec l’hindouisme, au même titre que Griffiths (OSBCam).[11] Néanmoins, parmi les acteurs du DIM·MID qui ont l’expérience d’une autre religion, ils l’ont le plus souvent du bouddhisme. C’est le cas de Pierre-François de Béthune (OSB), Benoît Billot (OSB), Mayeul de Dreuille (OSB), David Steindl-Rast (OSB), Jean-Bernard Simon-Vermot (CR) ou encore Bernard de Give (OSCO).
Deuxièmement, si ce type de dialogue, que Raimon Panikkar qualifie d’intrareligieux, est caractéristique du dialogue des moines, il ne lui est pas réservé. Il est pratiqué par des chrétiens de divers obédiences et milieux, incluant des membres de la Compagnie de Jésus, dont Ignatius Hirudayam, Yves Raguin, Robert Kennedy, Francis Clooney, Michael Amaladoss, Kakichi Kadowaki, Ama Samy, Bernard Sénécal ou encore Antony De Mello. Dans tous les cas, il est question d’une attitude qui consiste essentiellement à accueillir l’altérité religieuse en soi, dans sa vie de foi, à la faire interagir avec sa façon chrétienne de prier et de penser, laquelle est appelée du même coup à s’approfondir ou à se simplifier selon sa cohérence propre. Il s’agit d’une relation inédite à l’autre croyant, à sa vision du monde, à son approche ascétique et à son aspiration au transcendant, qui commande à la fois de ressaisir toute la profondeur de la dimension contemplative dans son rapport au divin et d’articuler à nouveau frais la pratique évangélique de l’hospitalité.[12] C’est précisément sur la base de cette double exigence que nous proposons d’examiner le caractère prophétique du dialogue chrétien-bouddhiste au sein DIM·MID, et ce, à trois niveaux, à l’échelle du monachisme, de l’Église et de la société.
Notons que cette étude est l’occasion de revisiter des documents officiels et d’archives du DIM·MID publiés depuis sa création, une documentation qui, en plus d’être somme toute peu connu en langue française, permet d’inscrire dans une profondeur historique les tendances lourdes et prometteuses concernant notre sujet pouvant avoir un impact majeur sur l’avenir. Enfin, notre interprétation de ces tendances ne prétend pas rendre compte du DIM·MID dans sa complexité théologique et la diversité de ses pratiques ; elle n’entend pas non plus minimiser les différences de points de vue de ses membres et les défis auxquels ces derniers font face dans leur promotion du dialogue. Notre intention est plutôt de dégager une vision qui, au risque de paraître idéalisée à certains égards, a contribué à l’originalité de cette nouvelle page d’histoire monastique et, espérons-le, attend encore de donner ses meilleurs fruits dans un monde en redéfinition.
À l’échelle monastique
Le DIM·MID représente une petite minorité au sein de la famille de saint Benoît qui, malgré le soutien officiel dont il a toujours bénéficié, ne fait pas l’unanimité, sans compter sa difficulté à assurer la relève.[13] Mais n’est-ce pas le lot de tout courant prophétique ? C’est souvent une minorité qui met au défi la majorité de ressaisir toute la profondeur de sa vocation. Il en est ainsi du DIM·MID quand il appelle à retrouver l’essence du monachisme. Déjà dans le cadre de l’AIM,[14] l’exigence d’un dialogue avec les spiritualités orientales coïncide avec le constat que les observances des monastères bénédictins et cisterciens ont un caractère bien trop occidental pour avoir la résonance souhaitée en milieu asiatique. Pour faciliter la communication avec leurs partenaires bouddhistes et hindous, les moines missionnaires s’accordent alors sur la nécessité de dégager les éléments irréductibles et universels de toute vie monastique, allant toujours vers plus de pauvreté, qui seuls semblent en mesure d’avoir un écho favorable en Asie ; cela obéit à la logique, défendue par Jean Leclercq (OSCO), d’une déshellénisation et plus précisément d’une « débénédictisation » du monachisme occidental, elle-même en conformité avec le renouveau visé par le Concile qui, selon Paul VI,
ne consiste pas en un bouleversement de la vie présente de l’Église, ni en une rupture avec sa tradition dans ce que celle-ci a d’essentiel et de vénérable, mais il est plutôt un hommage rendu à cette tradition, dans l’acte même qui veut la débarrasser de tout ce qu’il y a en elle de caduc et de défectueux, pour la rendre authentique et féconde.[15]
Mettre en lumière les éléments irréductibles et universels de la vie monastique renvoie à cette exigence de réformation de cette dernière, à condition toutefois que ces mêmes éléments se comprennent essentiellement en termes d’expérience, expérience de la condition humaine et expérience des réalités divines, deux aspects d’une seule et même dynamique.
Dans son Journal d’Asie, Thomas Merton soutient que l’essentiel de la démarche monastique ne réside pas dans les murs du monastère, ni dans l’habit, ni même dans la règle ; il se rapporte à quelque chose de plus profond, à savoir la pleine transformation intérieure, tout le reste n’ayant que le dessein de servir cette finalité.[16] Devant l’intérêt croissant chez les jeunes occidentaux pour les méditations orientales, les moines réunis à Loppem (août 1977)[17] font un constat similaire, à savoir que les « structures remplissent leur fonction quand elles sont l’expression d’une expérience profonde. Leur sclérose a suscité une réaction de la part des moines et des moniales de toutes cultures, car on trouve alors des religieux qui ne s’adonnent plus à leur recherche spirituelle. »[18]
Quelques années plus tard, dans la circulaire du 8 mars 1981 de la Commission européenne pour le dialogue interreligieux monastique, on peut lire dans la même veine :
Les Orientaux qui ont passé toute leur vie dans la pratique de la recherche intérieure, ont certainement beaucoup à nous apprendre. Mais ils enseignent davantage par la participation que par la discussion. Cela suppose de notre part une profonde prière et une grande intériorité. Il est bien triste de voir tous ces jeunes courir derrière les ‘gurus’ pour apprendre à méditer alors que nous chrétiens nous devrions l’avoir appris depuis longtemps !
L’assurance des bouddhistes concernant leurs voies méditatives explique peut-être le manque de réciprocité, observé par Béthune en 1997, lors des rencontres avec les moines zen du Japon : « Dans les échanges organisés depuis dix-huit ans, écrit-il, c’est difficile de garder la réciprocité, car les japonais ne sont pas tellement désireux de venir nous voir, alors que les moines européens se pressent pour aller dans les monastères zen. La curiosité européenne est plus grande. »[19]
Chose certaine, un lien de cause à effet existe entre une désoccidentalisation de la foi chrétienne et le fait de ressaisir cette dernière selon une approche plus incarnée et spirituelle ; selon Panikkar, les moines ont un rôle important à jouer dans l’établissement de ce lien :
Monastics have a historic mission. Today their task, like that of all contemplatives, is to free the Christian faith from the bond of Western culture. This task is not a new iconoclasm, but rather the continuation of what was begun at the Council of Jerusalem. We will only be able to go beyond Western culture if reason, which has so dominated it, is put in its place.[20]
Du débat au cœur du concile de Jérusalem ressort la non nécessité des observances juives pour être sauvé dans la foi en Jésus. Celles-là peuvent en outre devenir un obstacle à la propagation de celle-ci. De même, la structure occidentale des monastères de saint Benoît révèle par certains côtés ses limites à encourager cette recherche intérieure parmi nos contemporains. D’où le souci de recouvrer l’essence du monachisme dès le congrès de Bangalore (1973).[21] Certes, le congrès de Bangkok (1968) ouvre la voie en évoquant l’urgence de dépouiller la vie monastique de la culture occidentale, mais cela y demeure encore un projet assez vague et plutôt théorique. Il est surprenant de noter que l’idée selon laquelle l’essence du monachisme réside dans la recherche de la sagesse et la connaissance de Dieu n’ait pas été aisément acceptée par les moines eux-mêmes ; elle n’a pas fait l’unanimité à Bangkok. Or la vie monastique ne se caractérise-t-elle pas, dès sa création, précisément par un agir centré sur l’expérience contemplative du divin ? Il faut attendre le congrès de Bangalore où le thème choisi pour orienter les échanges est l’expérience de Dieu que Panikkar, l’un des intervenants les plus remarqués, définit comme la conscience immédiate de la réalité ultime.
Quelles voies conduisent à cette expérience ? Quelle est la place de celle-ci dans la vie et la prière de la communauté ? Quels sont ses rapports avec la responsabilité sociale ? Autant de questions qui orientent l’attention des congressistes. À la veille de la création en 1994 du DIM·MID comme instance indépendante de l’AIM, Griffiths va dans le même sens en proposant de dépasser les structures historiques et de retrouver le mythe originel du christianisme.[22] Quelle que soit la formule retenue, il s’agit de reconnaître la centralité de l’expérience de Dieu dans la démarche monastique chrétienne et la nécessité d’en faire une priorité non seulement dans un contexte missionnaire en Asie où, en raison de l’influence des formes monastiques bouddhistes ou hindoues, l’intériorité tient une place prépondérante, mais plus encore dans une société occidentale où la pauvreté spirituelle est manifeste.
Le DIM·MID a ceci de prophétique qu’il invite les moines à retrouver le chemin du désert, là où Dieu nous convie pour tester notre fidélité, bien qu’il ne soit plus le temps de s’isoler et de quitter le monde à l’instar des premiers ascètes chrétiens, car le monde a besoin aujourd’hui plus que jamais d’être transformé par la sagesse des renonçants. La crise actuelle est telle qu’il en va de la survie du genre humain ; Merton le rappelle déjà en son vivant et la compare à celle du temps des Pères du désert : « Le danger que nous courrons est plus terrible. Nous avons peut-être moins de temps que nous ne le pensons. »[23]
Ces propos n’ont rien perdu de leur pertinence. Dans ce contexte, le défi du contemplatif est de trouver la solitude nécessaire à sa quête non dans l’isolement, mais au cœur de la société, dans l’épaisseur culturelle et psychologique de la relation à l’autre. Des plus exigeants, cet aspect de la vocation monastique est pourtant ce qui convient le mieux à la situation du moment : non pas l’abandon des structures et des institutions, mais leur transformation à partir d’un changement radical des cœurs en relation.[24] Le désert en question prend alors une autre forme, il s’agit du désert de l’altérité religieuse, le « troisième désert » ;[25] c’est l’espace de la relation à l’autre croyant qui devient un lieu de tentations et à la fois propice à réitérer sa fidélité à Dieu.
L’appel à un renouveau contemplatif au sein du monachisme s’opère ainsi dans la pratique d’une hospitalité sacrée. Le rapport aux religions orientales, le bouddhisme en particulier, a joué et continue de jouer un rôle déterminant dans ce renouveau.[26] Il suffit de penser à John Main et à Thomas Keating à l’origine respectivement de la Communauté pour la méditation chrétienne et de la Contemplative Outreach avec la prière de consentement, ou encore à Willigis Jäger (OSB) qui fonde un centre de Zen et de contemplation à l’Abbaye de Münsterschwarzach en 1983, puis le Benediktushof dix ans plus tard, un centre interreligieux de meditation and awareness.
Dans le cas de Le Saux et de Merton, le dialogue de l’expérience religieuse est l’occasion de redécouvrir la sagesse des Pères du désert.[27] Tous les deux ont plaidé pour une structure monastique plus dépouillée en s’engageant dans une vie érémitique. Il s’agit de ressaisir une certaine radicalité dans la manière de vivre la pauvreté évangélique et le silence du cœur. L’idée est au fond de mettre la structure monastique davantage au service d’une connaissance de soi qui, essentielle dans une vie vécue sous le signe de l’amour divin, renvoie aux pensées, à la façon dont celles-ci conditionnent l’esprit et deviennent un obstacle à la vie contemplative. Cette connaissance fondamentale et universelle est au cœur de l’enseignement bouddhiste. Or, on oublie souvent qu’elle est aussi centrale dans la voie spirituelle chrétienne, notamment telle qu’exposée par les Pères du désert. Beaucoup d’Occidentaux découvrent le rôle et la nature des pensées grâce au bouddhisme et à ses pratiques méditatives. Toutefois, parmi eux un nombre croissant de chrétiens s’éveillent à la réalité de leur propre esprit à partir d’une compréhension nouvelle de la dimension mystique de leur propre tradition.
Dans sa relation au bouddhisme, le DIM·MID y contribue en offrant la possibilité de ressaisir cette connaissance, essentielle pour un renouveau contemplatif. Lors de la rencontre de juin 1984 du Secrétariat de l’AIM à Vanves (France) sur les causes de l’engouement pour l’Orient, à laquelle participèrent le Secrétaire Général du Secrétariat pour les Non-Chrétiens, Marcello Zago (OMI), ainsi que les membres de la sous-commission européenne pour le dialogue, il fut noté en ce sens : « Those attracted to Eastern religions are at the same time the most open to Christian mysticism, and may recover the Christian mystery through it. »[28] Pour sa part, Béthune souligne que « la fréquentation d’autres traditions permet et invite même à découvrir les trésors de sa propre tradition. Il serait pour le moins étrange qu’une moniale ou un moine chrétien devienne un grand connaisseur de la Bhagavad Gita, de Nagarjuna ou de Dôgen et ne connaisse guère Grégoire de Nysse, Eckhart ou Jean de la Croix ! »[29] Aussi le DIM·MID permet-il aux moines de se donner les moyens d’accompagner spirituellement toute personne mue par le désir de plonger dans le silence du cœur, qui plus est au détour d’une pratique bouddhiste, un souhait clairement formulé lors la réunion fondatrice de Loppem. En somme, il invite le monachisme de saint Benoît, qui en Occident connaît une décroissance comme la plupart des congrégations religieuses, à ne pas se suffire des acquis des siècles passés, mais à se mettre davantage à l’écoute des aspirations spirituelles de nos contemporains en leur ouvrant à nouveau la voie du désert.
À l’échelle ecclésiale
Le DIM·MID n’est pas qu’une affaire de moines, sa portée est ecclésiale ; son œuvre est au service de tous les baptisés et elle est d’autant plus importante dans le contexte d’une Église occidentale en crise. Historiquement, les moines ont souvent été des acteurs déterminants dans les périodes critiques. Nos recherches sur le DIM·MID engagées depuis plus de 25 ans reposent sur la conviction que cela se vérifie une fois de plus avec les moines en dialogue. De façon générale, les moines sont des agents civilisateurs grâce à leur place unique au sein de l’Église, à la fois à la marge des conventions et gardiens de la tradition. Cette double posture leur octroie un pouvoir inégalé de transformer l’impasse en passage. La rencontre des moines du DIM·MID avec les religions dites orientales, le bouddhisme en particulier, est peut-être aussi déterminante pour l’avenir du christianisme que l’a été celle avec les philosophies grecques il y a deux milles ans.[30]
Défendue notamment par Griffiths et Johnston, cette idée mérite d’être développée et démontrée ; plusieurs signes lui donnent corps comme le fait généralement admis que le centre de gravité du monde se déplace inéluctablement vers l’Asie. Aussi le christianisme est-il appelé à s’y enraciner davantage, comme il lui a fallu s’intégrer dans la culture gréco-romaine dominante de l’antiquité. Toujours est-il que Le Saux accorde, pour sa part, un rôle majeur aux spiritualités orientales dans l’avenir du christianisme comme en témoigne cette réflexion faite à propos du congrès panasiatique de l’AIM tenu en 1973 à Bangalore :
The monastic is the one who goes to the very Source that is prior to the dividing and merging of the primordial waters. Monastics stay close to and drink from this source in the name of all their brothers and sisters. This is their specific role in human society […]. Keeping close to that place where everything converges and from which everything comes forth, monastics are above all people of union and encounter, people who keep their eye fixed on the Absolute and are thus able to discern and recognize the mystery of the Absolute that lies hidden in all things. In this decisive kairos of the Church’s history, the monastic vocation places monastics at the meeting point of the church’s encounter with the modern world and with the spiritual world of the East. In the Church’s encounter with the world of the East, monastics are able to understand and to transmit to others what the Spirit is saying to the churches through the composite spiritual traditions of the Orient.[31]
Si cela est vrai, le visage de l’Église en sera totalement changé. Aussi ne doit-on pas minimiser les enjeux du dialogue avec les bouddhistes. Ce dernier n’est pas moins important qu’un dialogue avec les musulmans souvent privilégié dans une société où, il est vrai, l’islam représente un défi politique et numérique bien plus grand ; il est même plus fondamental en ce qu’il engage davantage le christianisme dans une réinterprétation théologique de sa foi,[32] sans compter qu’il est le plus souvent à l’origine de l’attitude intrareligieuse, seule capable d’ancrer la rencontre dans la foi et la gratuité, au-delà des simples rapports de convenance et de négociation. Voilà une attitude que les moines, ainsi que tout chrétien, peuvent appliquer en d’autres contextes, avec des religions dont les relations historiques et politiques rendent d’emblée difficile l’approfondissement des échanges (ex. Judaïsme, islam), avec des religions mal comprises que des siècles d’activités missionnaires ont tenté d’éradiquer (ex. religions traditionnelles), ou bien avec la nature pour une nouvelle conscience écologique.[33] Le DIM·MID œuvre au développement d’une nouvelle conscience ecclésiale fondée sur le principe que ma relation à l’autre croyant n’est plus une menace à ma foi, mais le lieu privilégié de son expression.
Le dialogue avec les moines bouddhistes offre ainsi de nouvelles avenues à une Église occidentale en crise. Pour mieux le comprendre, définissons d’abord cette dernière. Au risque de céder à la simplification d’une situation complexe, disons seulement que la crise en Église repose sur deux attitudes en apparence contradictoires avec, d’un côté, une Église fermée sur elle-même et déconnectée des aspirations spirituelles des contemporains, soucieuse plutôt de préserver ses structures, son pouvoir hiérarchique et sa vision dogmatique des choses ; et de l’autre une Église libérale qui abandonne son caractère prophétique et perd de vue les exigences propres à une vie évangélique, en se pliant aux injonctions de la pensée dominante relayée par les canaux médiatiques ; voilà deux attitudes qui, bien qu’en tension, s’imbriquent l’une dans l’autre. D’où une situation ambivalente qui ne fait qu’aggraver la crise en question, révélant une Église marquée par un manque à la fois d’ouverture et d’enracinement. Or, un dialogue entre moines chrétiens et moines bouddhistes offre précisément à l’Église d’incarner à nouveaux frais cette double dynamique d’ouverture et d’enracinement propre à toute religion vivante.
D’abord, le rapport au bouddhisme et à ses voies méditatives invite les partenaires chrétiens à ressaisir la raison d’être de toute structure, de toute formule ; la vérité n’est pas dans les mots mais dans ce pour quoi ils ont été écrits et prononcés, ni dans la règle, mais dans ce pour quoi elle a été faite et appliquée. Les moines chrétiens découvrent ainsi que ce qu’on prend parfois pour l’essentiel n’est en réalité que le véhicule pour y accéder. Aussi Béthune propose-t-il de mesurer toute la portée du concept de « moyen habile » (upāya)[34] qui, dans les bouddhismes mahāyāna et tibétain, est complémentaire de la pratique de la compassion (karunā). En sensibilisant à la dimension intérieure ou contemplative du message évangélique, le dialogue monastique avec les bouddhistes encourage à donner aux structures leur place véritable, à savoir secondaire par rapport à l’essentiel, qu’est l’expérience libératrice ou salvifique du Dieu trinitaire. Or, en étant moins attaché à ses structures, le chrétien devient plus libre, plus souple et flexible, mieux à même de s’ouvrir sans préjugés à d’autres réalités spirituelles, à d’autres lieux où la présence divine se communique selon des codes et des voies qui lui sont étrangers. Aussi les membres du DIM·MID ont-ils une compréhension du bouddhisme qui repose sur la manière dont celui-ci se comprend lui-même,[35] refusant ainsi toute impression ou conviction à priori. Il s’agit d’une compréhension fondée sur une expérience d’hospitalité qui leur permet d’avoir sur cette religion un regard de l’intérieur ; leur point de vue est alors à l’opposé de ces théologiens qui se sentent obligés de discréditer le bouddhisme ou d’autres religions pour justifier les dogmes chrétiens[36]. En plus de cette ouverture à l’altérité, le dialogue avec les moines bouddhistes favorise l’enracinement de la foi dans une conscience vive et incarnée du Royaume déjà présent en nous et parmi nous, cela allant de pair avec le fait d’assumer l’héritage de tous ces chrétiens, de ces hommes et ces femmes qui ont été autant de témoins de cette bonne nouvelle d’une génération à l’autre. Seul un tel ancrage octroie la force de résister à l’injustice conformément à l’Évangile, dans la dignité, au-delà des intérêts personnels et des lâchetés diverses, avec de surcroît la possibilité de rallier les contemplatifs de toute provenance.[37]
Partant, le DIM·MID encourage un renouveau théologique, car aucun comportement inédit ne peut s’enraciner durablement dans la conscience ecclésiale s’il n’est théologiquement fondé. Lors de la réunion du DIM à Vanves en novembre 1985, cela est reconnu comme une nécessité :
[…] it is not enough to sow these exchanges, we still have to cut their fruit, to work out a theological and spiritual reflection on the basis of the experiences lived. In its own sphere, the monastic order can in fact collaborate in the research which is going on in many places ‘comparing, deepening and enriching the religious patrimony of the one and the other, so as to use their resources to solve the problems that face man in the course of history.’[38]
Le rapport de la réunion fondatrice de Loppem fait déjà état de l’importance de reconsidérer la théologie spirituelle à la lumière des fruits d’une expérimentation sérieuse des spiritualités d’Asie. Aussi les questions abordées sont-elles souvent d’ordre pastoral en lien avec le contexte monastique. Il s’agit par exemple de montrer ce qui constitue le but principal de la vie spirituelle et ses buts intermédiaires, de réfléchir à la nécessité de l’intégration du corps dans la pratique spirituelle, de mesurer l’importance et l’authenticité, pour le progrès spirituel, des méthodes issues ou adaptées de l’Orient, de comparer l’apport de ces méthodes avec celui des formes traditionnelles de la prière chrétienne, d’étudier la psychologie et l’anthropologie sous-jacentes au bouddhisme et l’hindouisme et à leurs voies méditatives.
Notons que le projet théologique du DIM·MID ne se cantonne pas au seul cadre monastique. Toujours à Loppem, les moines conviennent en effet d’étudier de manière comparative les univers symboliques du bouddhisme, de l’hindouisme et du christianisme, en vue de ressaisir la force du symbole dans la liturgie et les sacrements chrétiens. Plus fondamentalement, on y soulève le problème de la méthode théologique. Les religions dites orientales donnent la mesure face à une théologie chrétienne trop déductive, et invite à enraciner le discours dans l’expérience de l’objet étudié. Les moines estiment que le lien étroit au sein du bouddhisme entre vérité et expérience est une valeur que la théologie chrétienne peut assumer pour sa propre authenticité. De là, ils soutiennent l’occasion de purifier le concept même de Dieu et d’éviter la tentation de l’idolâtrie subtile qui consiste à concevoir Dieu à son image, en y projetant ses désirs, ses peurs et ses espoirs. Wiseman nous confia en 1996 que le « MID can help purify and refine the understanding of God which is so basic to theology. »[39]
Même s’il est d’abord reconnu par les autorités bénédictines que les moines en dialogue n’ont pas nécessairement les compétences requises pour ce travail théologique,[40] il reste que plusieurs, comme Béthune, William Skudlarek (OSB) et James Wiseman (OSB), Pascaline Coff (OSB) ou plus récemment Matteo Nicolini-Zani (Bose), tenteront d’en jeter les bases, et c’est sans compter l’apport de théologiens de renom, sensibles aux initiatives intermonastiques, tels que Jacques Dupuis (SJ), Claude Geffré (OP), Raimon Panikkar, Ewert Cousins et Peter Phan.[41] Aussi, le DIM·MID encourage-t-il à repenser les grands thèmes de la théologie comme la question ecclésiale et la question pneumatologique. Notons que les pratiques méditatives bouddhistes agissent souvent comme un miroir dans lequel le chrétien, le contemplatif en particulier, non seulement jette un nouveau regard théologique sur son héritage spirituel et mystique, mais renoue aussi avec des débats qui, de tout temps, ont animé les esprits, comme celui sur la grâce et les œuvres.
Faire la promotion de tous les héritages spirituels comme le propose le DIM·MID[42] implique de ne plus comprendre l’Église comme l’unique espace de salut. Dans son discours au congrès des abbés en 1980, Pietro Rossano souligne que le Christ n’appartient pas au chrétiens et que l’Église n’a pas le monopole de l’Esprit :
The grace of being inspired by Christ does not bestow upon us a monopoly of the Spirit of God. While we are sure of the Truth, we have no exclusive control over it, even though the path traced out for us by Christ in the Gospel is perfectly illuminated, he himself wants all men to go in search of this mystery.[43]
Si donc Jésus n’annule pas la signification de Rama ou de Krishna,[44] comme le soutient Griffiths en 1978 lors d’un symposium à Shantivanam, s’impose alors la nécessité de distinguer entre l’Église visible et le Royaume de Dieu ;[45] ne plus identifier ces derniers permet à l’Église de créer un espace de communion entre toute personne qui, quelle que soit sa religion, participe du Mystère divin, en en incarnant au quotidien la Présence, réalité universelle dont personne n’a le monopole. En effet, selon Dupuis, si l’Esprit est à l’œuvre dans le cœur de tous les partenaires du dialogue, la conversion ne se comprend plus dans un sens unique, mais devient mutuelle.[46]
Les membres de l’AIM s’éveillent à la possibilité d’une telle perspective à la réunion pan-monastique de Bangkok, dont l’auteur des Actes rapporte qu’« aucune autre rencontre entre membres de confessions chrétiennes et de religions non chrétiennes n’a pu faire percevoir à ce point le travail du Saint-Esprit en dehors du christianisme. »[47] Dans ce contexte, le critère d’authenticité ne relève plus tant de l’identification d’éléments hérétiques ou païens pour mieux faire ressortir l’unique et vraie croyance que de la capacité à entrer en soi pour une vie divine en plénitude, de laquelle seule émerge la véritable communauté des croyants. C’est au fond renouer avec l’idée, présente chez saint Paul, que la communauté en question tire sa force et sa raison d’être du fait que chaque individu qui la constitue – quelle que soit sa situation, sa culture, son sexe, sa provenance (voir Galates 3, 28) – a reçu le don de l’Esprit Saint et que ce don est reconnu comme tel consciemment et en expérience.[48]
Au sujet de la question pneumatologique, commençons par souligner que, dans l’esprit du DIM·MID, on ne retient guère l’image d’un Jésus divinisé, sans plus aucune commune mesure avec la condition humaine, ni celle qui, à l’opposé, le représente dans une grande souffrance, celle de la passion, fondement d’une théologie doloriste inspirant la culpabilité chez un homme réduit à son état de pécheur et condamné à attendre l’autre vie pour espérer connaître la joie véritable. Le dialogue avec les moines bouddhistes invite plutôt à déplacer l’attention sur l’Esprit de Jésus, présence dynamique, laquelle n’est plus liée à une représentation précise.[49] Cette approche se situe à l’inverse d’une dévotion qui conditionne le chrétien à penser et à imaginer Jésus pour être capable de croire en lui et donc pour le faire exister.[50] Ce déplacement peut s’expliquer en partie par la nécessité de retrouver le lien entre la figure de Jésus et l’expérience de chacun, la première n’ayant de sens que par rapport à la seconde.
En cela nous pouvons saisir la force des propos de Le Saux quand il déclare : « Tant que je contemplerai en moi un visage en Christ autre que mon visage, je n’aurai pas trouvé le Christ. »[51] Un renouveau spirituel passe alors par l’incarnation dans l’expérience du quotidien de l’Esprit Saint reçu en héritage et non par une représentation de Jésus, aussi sainte et cohérente soit-elle, détachée de soi. Résonne ici la remarque faite lors du East-West Symposium, organisé par le MID, sur une mystique de l’intégration et tenue à Holyoke (Massachutsetts) en novembre 1980 : « Today we need more than ever specialists, God-intoxicated persons, whose lives are centered, and for whom God is a fire they must pass on. »[52] Bien entendu, il ne s’agit pas de remettre en question l’importance du Jésus historique, mais de rappeler que suivre le Christ ne consiste pas seulement à marcher sur ses traces mais à vivre en sa présence, ce qui tôt ou tard ne va pas sans se détacher des images qu’on s’est faites de lui. Jésus n’a-t-il pas dit à ses disciples qu’il devait partir pour que vienne l’Esprit ? L’expérience d’Yves Raguin est en ce sens évocatrice, car elle montre combien la méditation zen éveille à cette exigence :
In fact it is the practice of Zen which helped me to understand that the final step is not to follow Christ or imitate him, but to be animated by him, because he lives in us. I realized at the same time that in the Cloud of Unknowing, Christ is no more an object of contemplation, but the one who, living in us, stirs in us this intent of love which turns our attention toward God Himself, the God which cannot be known by knowing, but only by unknowing […].[53]
À l’instar du théologien Eberhard Jüngel, le moine en dialogue pose l’idée d’un Dieu ineffable qui pourtant se rend accessible en la personne de Jésus-Christ. Image du Dieu invisible, Jésus se fait connaître comme le Crucifié, archétype de celui qui accepte de se perdre par fidélité au Père et par amour d’autrui. L’accès à Dieu consiste à se laisser rencontrer par Dieu sur des chemins que Dieu seul a tracés, ce qui exige de renoncer à toute garantie. Le dialogue de l’expérience religieuse honore ainsi le langage de la croix, puisqu’il délivre le moine de toute conception statique et préétablie, sans pour autant les rejeter, et l’engage à la suite de Jésus sur la voie de l’amour et du don de soi dans une rencontre profonde de l’altérité religieuse.
Cela renvoie le moine à ce que Jürgen Moltmann qualifie de christopraxie.[54] En intégrant le rapport à la vacuité (śūnyatā) dans son expérience et sa vision de Dieu, le chrétien saisit l’occasion de sortir du carcan des représentations abstraites du Christ, tout en acquérant une plus grande maturité contemplative qui coïncide avec la redécouverte d’un discours apophatique. Si, ultimement, de Dieu on ne peut rien dire, cela signifie que nos tentatives d’en parler sont par nécessité de nature analogique et que, par conséquent, l’absolutisation du discours théologique court le risque d’une vision idolâtre, voire obscurantiste, des choses. Mayeul de Dreuille met ainsi en garde :
The perfection of expression to which theologians have come, after fifteen centuries, within the framework of Greco-Latin thought, runs the risk of making us forget the imponderable dimension of the mystery of God, which cannot be adequately contained in any concept. Hence, every expression is open to further perfection. Just as modern science constantly changes the models used, to move closer to reality, so theology can never come to fathom the depths of the infinitude of God.[55]
Or, de ce point de vue, le discours théologique n’a de sens que dans sa valeur sotériologique, dans sa capacité à rendre libre ceux à qui il s’adresse. La fameuse image bouddhiste d’un homme blessé par une flèche empoisonnée – qui s’emploie immédiatement à panser sa plaie sans perdre de temps à spéculer sur la nature du projectile et les circonstances de l’attaque – est ici très instructive. Les moines chrétiens sont ainsi encouragés à trouver dans toute parole théologique ou issue des Écritures saintes l’accès au Royaume ici et maintenant, et donc à redonner toute son importance au moment présent,[56] qui est le temps négligé d’une Église en crise.
En invitant à vivre le moment présent, les bouddhistes rappellent en outre l’importance d’une connaissance de soi sur la voie de la libération. Pas d’éveil à Dieu sans éveil à soi titre le livre magnifique de Le Saux sur la prière.[57] Si cette vérité est au cœur de la tradition contemplative chrétienne, elle n’en a pas moins été oubliée à bien des égards. Aussi ne sont pas rares les moines du DIM·MID qui font l’expérience du corps comme lieu de spiritualisation grâce à leur rencontre avec le bouddhisme et ses pratiques méditatives, rejetant du même coup une anthropologie dualiste qui a trop longtemps sévie au sein du christianisme.[58] Aussi l’Église est-elle appelée à préserver l’accès à la Transcendance – cet espace indéfinissable source de toutes choses et pourtant altéré par aucune d’elles – à même l’épaisseur de la réalité psychocorporelle de la condition humaine[59] et, ainsi, à se distancier de l’attitude qui consiste à plaider pour une logique activiste où le service (diakona) est encouragé au détriment de l’intériorité et qui, trop souvent encore, identifie tout retrait, même momentané, en silence ou en vue d’une pratique méditative à une forme d’égoïsme. Or, les moines chrétiens n’ont-ils pas appris lors de leurs séjours dans les monastères zen au Japon qu’il n’y a de compassion authentique qu’émanant de la réalisation de sa propre nature de Bouddha ?
À l’échelle de la société
La société occidentale est en crise à bien des niveaux, politique, économique, sanitaire, écologique, social ou encore moral. La vision du monde qu’elle soutient repose sur une approche matérialiste et fragmentée de la réalité, bien souvent incapable d’offrir à nos contemporains une représentation cohérente de leur place, de leur destinée et de leur rôle dans ce monde, les laissant dans une situation potentiellement oppressante, du moins inconfortable. Le déficit de Transcendance qui caractérise la crise actuelle[60] fait obstacle à la gratuité et au dépassement de soi, limitant l’humain à l’image qu’il se fait de lui-même, le réduisant à un consommateur autant qu’à un produit de consommation, et ce, dans une société de marché qui fait l’éloge de la rentabilité.
La pratique de la méditation n’est pas épargnée ; elle aussi s’inscrit de plus en plus dans une logique marchande et utilitariste. Que l’on pense à la méditation de la pleine conscience extraite de son contexte bouddhiste, souvent comprise comme un remède contre le stress ou pour une meilleure performance, jusqu’à devenir une énième application téléphonique. Elle perd ainsi de son pouvoir d’éveil, susceptible paradoxalement d’alimenter les conditionnements, ou « maladies spirituelles »,[61] dont elle est supposée nous libérer.
Dans ces circonstances, le dialogue entre moines chrétiens et moines bouddhistes est prometteur. Il permet en effet de mettre en lumière les dangers sur la voie contemplative à partir d’une vitalisation réciproque ;[62] dans leurs échanges sur la méditation et la contemplation, les partenaires du dialogue s’offrent la possibilité de se remettre mutuellement en question et de parfaire certaines de leurs pratiques respectives. La force des uns peut réveiller celle des autres. Si, par exemple, le bouddhiste rappelle au chrétien que pour vivre de l’amour de Dieu, on ne peut faire l’économie d’une discipline mentale, le chrétien pour sa part rappelle au bouddhiste que cette discipline ne repose pas seulement sur des efforts personnels, mais doit aussi tenir compte de la grâce divine ou de son équivalent sous peine de céder à une forme de quiétisme. Ce faisant, ils sont à même, chacun selon la cohérence de sa propre voie, de préserver l’accès au mysterium en lequel seul réside le salut.
Précisons ici que la référence au quiétisme, dans l’exemple que nous venons de donner, est bien à propos. En effet, comme je l'ai écrit ailleurs, en mettant en garde contre l’approche quiétiste,
Merton dénonce l’attitude qui fait de la prière contemplative une technique de dépouillement de soi (self-emptying) en vue d’une ambition particulière, un truc psychologique, alors qu’il s’agit d’une grâce divine. En d’autres termes, l’erreur est de confondre le vide avec la présence de Dieu et de s’asseoir pour acquérir cette présence comme s’il s’agissait là d’un processus de causes et d’effets. En bref, c’est faire de l’assise, un culte. Le problème avec cette approche, avertit le moine Trappiste, c’est de rationnaliser et de manipuler la réalité, avec l’illusion que lire sur le mystère et tout arrêter en termes de prière ou de participation liturgique suffisent pour accéder à la vie contemplative. Merton rappelle au contraire que la contemplation coïncide avec une absence de voie, un état de vide dès lors qu’on quitte toute voie, qu’on s’oublie soi-même et prend la voie du Christ. C’est un état qui ne requiert plus aucune méthode. Cela étant, il ajoute aussitôt qu’il s’agit là d’une vocation et non le fruit d’une planification. Tout quitter est le résultat naturel et nécessaire d’une maturation par la grâce, et non d’une décision personnelle, ce qui alors serait contre-productif.[63]
À partir de leur enrichissement mutuelle ou mieux de leur appauvrissement mutuel,[64] les moines en dialogue sont en mesure de ressaisir l’essentiel d’une vie en plénitude et d’offrir à la société les éléments d’un discernement capable d’accompagner toute personne désireuse de s’ouvrir au-dedans à sa propre vérité.[65] Cela fut reconnu à plusieurs reprises, notamment à Holyoke en 1980[66] et au monastère bénédictin d’Asirvanam à Bangalore lors du cinquième International research Seminar on East-West Monastic Dialogue : « The crucial significance of monasticism in our times will be a reality when ‘monks and nuns around the world embrace the globe in a common thrust towards transcendence and initiate as many of the laity as possible in this effort.’ »[67]
Néanmoins, ressaisir l’essentiel de la voie contemplative, en dégager les étapes communes aux deux religions ne signifie pas plaider pour une religion unique, hors de tout cadre établi, réduite à une thérapie personnelle ou à une éthique universelle, dénuées de toute référence religieuse. Bien au contraire, et là précisément réside un autre aspect du caractère prophétique du DIM·MID, à savoir d’envisager ce qui unit les religions à la lumière et dans l’approfondissement de la cohérence ascétique et philosophique spécifique à chacune. Ici, la méditation ne se confond pas avec une technique opérant les mêmes changements psychocorporels quel que soit le contexte, au bénéfice de notre bien-être ; elle se rapporte plutôt à une méthode sans méthode, une technique de concentration appelée à s’effacer tôt ou tard derrière un état non égotique investissant progressivement l’être dans toutes ses dimensions et qui, en outre, ne peut être compris seulement comme le résultat de nos efforts personnels, mais aussi comme l’action non conditionnée d’un ordre des choses universel et libérateur (dharma) ou d’une volonté divine, et pourtant libérée par et dans un dépassement de soi.[68]
Notons que le rapport à cet ordre du monde ou à cette volonté divine s’inscrit toujours dans une weltanschauung donnée et donc dans un système conceptuel (philosophie ou théologie), une pédagogie (catéchèse) et une voie ascétique particulières. En d’autres termes, la pratique de la méditation nécessite l’intégration de ces dernières qui en octroient l’intention fondamentale et les dispositions concrètes pour sa mise en œuvre. Partant, elle s’ancre dans un projet qui dépasse le méditant lui-même, en tant qu’individu, pour l’inclure dans une certaine une vision communautaire et sociale. La méditation porte en elle une responsabilité à l’égard d’autrui. Aussi le Zen ne vise-t-il pas seulement l’éveil individuel mais aussi de faire de soi un meilleur citoyen. II est significatif que D. T. Suzuki commence son livre sur la vie monastique avec les vies d'humilité, de travail et de service, n'abordant la vie de méditation qu'à la toute fin. Selon le maître Zen, le « training at the Zendo is not only for the development of a man’s inner psychic powers but for that of his moral character as a social being. »[69]
Or, il ne s’agit pas ici d’un citoyen du monde hors sol, mais enraciné dans sa culture religieuse et politique bien qu’ouverte à celle des autres. Ainsi que le précise David Steindl-Rast (OSB), « [n]o one can be ‘outgoing’ unless he has a home to which he can return. »[70]Le citoyen formé à l’aune du DIM·MID revêt la capacité, vitale à notre époque, d’éprouver de la fierté à l’endroit de la culture de son prochain qui a permis à ce dernier d’être ce qu’il est, autant qu’il en éprouve pour la sienne, ainsi que de manifester du respect pour les ancêtres de son prochain qui sont les artisans et la mémoire de sa culture, autant qu’il en manifeste pour les siens. Cette attitude coïncide avec la prise de conscience que la pratique Zen n’est pas une technique auto-générée, mais le fruit de générations de chercheurs d’absolu.[71]
C’est dans cette optique qu’il faut comprendre la nature de la paix mondiale promue par le DIM·MID ; le dialogue chrétien-bouddhiste s’y développe avec l’exigence et l’urgence d’apporter les fondements spirituels d’un monde nouveau, global et harmonieux.[72] Or, il ne s’agit pas d’une paix hégémonique et uniformisatrice au profit d’une minorité, mais fondée sur le respect des différences, lesquelles, il faut le préciser, ne relèvent pas d’un communalisme qui serait l’expression d’un discours politiquement correct, source de divisions diverses. Le dialogue des moines est un dialogue de cœur à cœur, aux antipodes d’un tel discours, où chacun trouve l’espace de s’affirmer et de devenir lui-même dans une dynamique d’hospitalité, en communion avec l’altérité religieuse. Ici, les différences ne sont pas considérées comme une menace à l’intégrité des partenaires du dialogue ou l’objet d’un rapport de force ; elles représentent au contraire un pouvoir synergique, un vecteur d’unité. Par conséquent, il n’est ni question de repousser les frontières ni de les abolir, mais d’apprendre à les traverser. Notons que l’idée de nouvelle culture mondiale défendue en 1979 par Armand Veilleux, premier président du MID, peut apparaître ambiguë et critiquable en fonction de ce nous venons d’avancer :
There is no question for the Africans, any more than for the Asians or the Quebecois, of ‘salvaging, their cultures by maintaining or re-establishing customs that belong already or will soon belong to folklore. The challenge is rather for each one to get in touch consciously and seriously with their own roots, to discover the ‘soul’ that gave its cohesion to their culture, of the new world culture, of the new Man.[73]
Il est difficile ici de bien saisir le rôle des cultures locales dans la définition de ce nouvel homme, mais s’il en était réduit à son strict minimum, voire aboli, la vision d’une culture mondiale qui en ressortirait ne rentrerait aucunement dans la logique d’un dialogue intrareligieux qui, comme le précise Panikkar, refuse l’idée d’un pluralisme équivalent à un « stratagem to induce people to give up their own identities in order to create a new world order in which all cats are gray, all differences abolished under the pretext of tolerance and peace […]. »[74]
Notons enfin que pour la mise en œuvre de cette paix mondiale, le DIM·MID souscrit volontiers à l’idée que l’Orient et l’Occident se heurteront à moins qu’ils ne se rencontrent sur le plan spirituel.[75] Or, nous ne croyons pas que ce soit là l’enjeu principal d’une intervention du dialogue des moines pour un monde meilleur ; nous ne croyons pas non plus qu’il réside dans une lutte entre conservateurs et libéraux quelle que soit leur provenance religieuse. Ces éléments ont indéniablement un impact majeur sur le devenir des sociétés, mais ils sont secondaires par rapport au véritable enjeu qui renvoie, selon nous, à la confrontation entre ceux qui, dans leur compréhension de l’humain, refuse toute transcendance – qui, précisons-le, ne se comprend pas uniquement en référence à l’idée de Dieu – et ceux qui au contraire la défendent.[76]
Le monde à venir dépend de l’issue de cette confrontation, qui se dit et se voit peu, sur la base d’une vision anthropologique où, d’un côté, les limites de la condition humaines sont ignorées ou rejetées pour créer un homme supérieur à partir de ses propres ressources et désirs et, de l’autre, où ces mêmes limites sont acceptées et assumées en toute humilité dans un rapport étroit et de confiance à un au-delà de l’humain qui, dans le langage chrétien, se rapporte au divin. Dans le premier cas, il y a abolition de l’humain pour quelque chose d’autre, dans le second, il y a dépassement de soi pour un humain plus humain. Si cela est juste, la guerre en cours n’est pas d’abord politique ou économique mais spirituel. Dans ce contexte, les mots du Jésuite américain Daniel Berrigan prennent un sens particulier :
The time will shortly be upon us, if it is not already here, when the pursuit of contemplation becomes a strictly subversive activity […] I am convinced that contemplation, including the common worship of the believing, is a political act of the highest value, implying the riskiest consequences to those taking part.[77]
D’où également l’importance d’un rapport théologique aux choses, d’une capacité à accompagner spirituellement nos contemporains, souvent sans repère religieux, dans une compréhension qu’ils ont d’eux-mêmes et de leur relation aux autres et au monde qui les entoure. Ici, la contribution d’un dialogue entre chrétiens et bouddhistes mené au plan de l’expérience religieuse est cruciale. Ensemble, ils représentent une force extraordinaire et unique pour rendre à l’humain sa dignité et sa liberté de déployer son potentiel créatif au service d’un monde empreint de compassion et de sagesse. Il en est ainsi, paradoxalement, parce que le contraste doctrinal entre ces deux religions est à son comble. En effet, pour les uns, la croyance en Dieu est au cœur de la foi, pour les autres, elle relève de l’ignorance ; pour les uns, l’âme est éternelle,[78] pour les autres, elle n’existe pas (anātman). Si leurs approches philosophiques sont irréductiblement différentes, elles n’en sont pas pour autant incompatibles ; au contraire, elles deviennent le vecteur d’une évangélisation mutuelle, cette incitation réciproque à ressaisir l’essentiel, selon sa cohérence propre, sous l’effet de la résonnance, maintes fois expérimentée par les moines en dialogue, entre leurs dimensions ascétiques et spirituelles respectives.
Ce dialogue, dont on a besoin aujourd’hui plus que jamais, inscrit au cœur du monachisme la direction à suivre pour un retour au désert, un désert avant tout intérieur, où l’humanité est appelée à vivre le passage à une nouvelle étape de son évolution. Ensemble, chrétiens et bouddhistes sont sans doute parmi les mieux à même d’assister le processus salvifique en marche dans le cœur de chaque personne et ce faisant d’« aider le monde à triompher de l’égoïsme, de l’orgueil et des rivalités, à surmonter les ambitions et les injustices, à ouvrir à tous les voies d’une vie plus humaine où chacun soit aimé et aidé comme son prochain, son frère. »[79]
Conclusion
Le DIM·MID, avec en son cœur un rapport expérientiel au bouddhisme, marque le début d’une aventure monastique visant à accoucher d’un nouveau vivre ensemble à partir d’une manière chrétienne inédite d’être au monde. Les mots de Denyse Lavigne (OSCO) au sujet de la réunion fondatrice de la commission américaine[80] sont ici éloquents :
Petersham n’était pas simplement une autre rencontre ou un atelier parmi d’autres, ce n’était pas une tentative naïve de dialogue ni un engagement répondant à une mode, dans des techniques superficielles de méditations orientales ou occidentales. Petersham était plutôt une ouverture, le seuil d’un nouveau genre d’aventure monastique : un voyage qui commence à l’intérieur et atteint toutes les nations et toutes les personnes. Je vois désormais les Actes des Apôtres comme mon propre voyage, à la fois intérieur et extérieur. Je ressens une profonde solidarité, ainsi qu’une gratitude envers tous les moines et moniales qui partagent ce voyage avec moi, même si je ne les ai jamais rencontrés.[81]
Les moines en dialogue représentent l’archétype d’une nouvelle communauté, le modèle d’une humanité où les uns et les autres s’apprivoisent sur l’arrière-fond d’un « mystère d’unité »[82] et de la joie d’être ensemble, sans toutefois compromettre leur spécificité respective.[83] Chrétiens et bouddhistes ne cherchent pas à créer l’unité ; elle n’est pas ce qu’il faut atteindre, mais le socle sur lequel tout commence, idée qu’on retrouve dans le rapport de la rencontre de Petersham : « Nous avons besoin de partir de là où nous sommes un, dans l’Esprit de Dieu. »[84] En d’autres termes, il s’agit de s’éveiller ensemble à cet au-delà situé au fond des cœurs – présence de Dieu pour les uns, nature de Bouddha pour les autres –, là où précisément la communion entre tous les êtres est déjà une réalité qui, néanmoins, attend encore son achèvement ici-bas. Aussi la formule fameuse de Merton constitue-t-elle en quelque sorte le fondement de l’esprit du DIM·MID et de sa mise en œuvre : « Mes chers frères, nous sommes déjà un. Mais nous imaginons que nous ne le sommes pas. Et ce que nous avons à retrouver, c’est notre unité originelle. Ce que nous devons être, c’est ce que nous sommes. »[85]
C’est dans la foi en cette unité de nature mystique autant qu’eschatologique que le moine puise la force d’accueillir, dans un amour inconditionnel et avec discernement, l’ennemi traditionnel, celui qui prie autrement, hérétique au-dedans de l’Église, païen au dehors, et ce faisant d’œuvrer pour une cohabitation harmonieuse entre les peuples. N’est-ce pas d’ailleurs la raison pour laquelle, au sein du DIM·MID, la prière en commun (communicatio in sacris) « n’est pas l’aboutissement d’une approche prudente ; elle est le point de départ d’une vraie rencontre […] » ?[86]
C’est là aussi, dans sa relation étroite à l’altérité religieuse, que le moine est appelé plus encore à « assurer le relais de la mémoire chrétienne à la fois sous le signe des contenus croyables et de pratiques signifiantes. »[87] Si, comme le soutient Claude Geffré, le déclin d’un certain catholicisme officiel appelle une recomposition du christianisme, la situation du bouddhisme n’est pas nécessairement plus reluisante. Le succès de ses pratiques semble diminué en Occident devant l’intérêt croissant pour la méditation de la pleine conscience ; et les monastères zen au Japon, par exemple, connaissent de la difficulté à s’adapter à la modernité. Pour Alfred N. Whitehead, christianisme et bouddhisme sauront se relever seulement en interagissant l’un avec l’autre.[88]
L’enquête menée par Cornelius Tholens (OSB) en 1975 au sein de l’Ordre Bénédictin sur la façon de développer plus avant la rencontre des monachismes, révèle une préoccupation similaire concernant la tâche des pionniers de ce dialogue : « Ils auront à affronter ensemble les questions cruciales que pose la mutation culturelle actuellement vécue par l’humanité tout entière, mutation qui lance un défi à toutes les religions. »[89] Cette exigence est plus que jamais d’actualité à l’heure où les peuples de la terre font face à des mesures inédites de confinement et de distanciation dans une société où la rentabilité s’est substituée à l’humain comme critère de son évolution. Quelle qu’en soient les raisons, ces nouvelles normes sociales portent atteinte au vivre ensemble pour forcer l’isolement et le retrait, lieux que connaissent bien les moines et qui, il est vrai, sont aussi à la base de la voie contemplative.
Pour Origène, la contemplation de Dieu, en échos à Mathieu 5, 5-8, « involves the withdrawal into an inner chamber, which means shutting the doors of the faculties of sense. »[90] Or, selon ce point de vue, le port inédit du masque imposé au grand nombre dans la gestion du Covid-19 n’est-il pas ironiquement le symbole d’une intériorisation pour une prière authentique, l’accès à l’espace de transcendance, promesse d’un renouveau harmonieux. Certes, l’isolement et le retrait forcés sont pour beaucoup source de désagrément et d’angoisse, de restrictions et de désolations, mais ne favorisent-ils pas aussi paradoxalement l’émergence d’une humanité renouvelée dans l’amour et la liberté. Il peut en être ainsi seulement si cette humanité est accompagnée dans le processus de connaissance de soi et de meurs pour devenir inhérents à ce mouvement d’introversion. C’est là précisément qu’un dialogue entre moines chrétiens et bouddhistes peut révéler sa pertinence. Les uns et les autres rappellent avec force que l’enfermement est avant tout mental, que nos pensées sont la première source d’aliénation, mais aussi la clef pour transformer l’impasse en passage dès lors qu’elles sont pacifiées et intégrées dans un dépassement de soi. À l’origine des mondes infernaux autant que paradisiaques,[91] elles déterminent la condition humaine.
En ressaisissant la nature et le fonctionnement dans le processus d’éveil et de résurrection, bouddhistes et chrétiens, unis à tous les contemplatifs de bonne volonté, offrent, en chacun de nous, d’en faire les agents fidèles au service d’une société encore à bâtir, capable de rendre à l’humanité sa dignité et son habileté créatrice à déployer le meilleur d’elle-même. S’il devait en effet en être ainsi, alors Arnold Toynbee aurait eu raison d’affirmer que, dans quelques milliers d’années, les historiens retiendront du XXe siècle que pour la première fois christianisme et bouddhisme ont commencé à s’interpénétrer de façon conséquente.[92]
Notes
[1]Dennis Gira, Comprendre le bouddhisme, Paris, Centurion, 1989, p. 197. Retenons aussi ces mots de Teilhard de Chardin qui, déjà en 1947, évoque dans L’apport spirituel de l’Extrême-Orient « qu’en tout domaine de réflexion aussi bien religieuse que scientifique, c’est seulement en union avec tous les autres hommes que chaque homme peut espérer atteindre le bout et le fond de lui-même. Non pas nous initier à une forme supérieure d’esprit, mais plutôt grossir et enrichir, par double effet de résonance et de totalisation, la nouvelle note mystique (humano-chrétienne) montant de l’Ouest : tels me paraissent être en définitive, à l’heure présente, le rôle indispensable et la fonction essentielle de l’Extrême-Orient. » Pierre Teilhard de Chardin, Les Directions de l’avenir, Paris, Seuil, 1947, p. 160. Voir aussi Romano Guardini, Le Seigneur, tome 1, Paris, Alsatia, 1946. Claude Levi-Strauss, Tristes Tropiques, Paris, Union générale des Éditeurs, 1992.
[2]Le Dialogue Interreligieux Monastique · Monastic Interreligious Dialogue est un organisme unique au sein de la famille de saint Benoît. Comme secrétariat de la confédération bénédictine, il réunit plusieurs congrégations comme celle des camaldules et accueille les deux branches de l’Ordre cistercien. En outre, il inclut deux commissions principales, l’une européenne (DIM), l’autre américaine (MID). Le signe DIM·MID désigne l’organisme dans toutes ses composantes continentales. Pour en savoir plus sur l’histoire de cette nouvelle page de l’histoire monastique, voir Fabrice Blée, Le désert de l'altérité. Une expérience spirituelle du dialogue interreligieux, Médiaspaul, Montréal/Paris, 2004. (Traduit : Il deserto dell'alterità. Un'esperienza spirituale del dialogo interreligioso, Cittadella, Assise, 2006 ; The Third Desert. The Story of Monastic Interreligious Dialogue, Liturgical Press, Collegeville (MN), 2011.
[3] Aide Inter-Monastères North American Board for East-West Dialog Bulletin 23 (1985), p. 8.
[4]Monastic Interreligious Dialogue Bulletin 48 (1993), p. 16. Citons aussi Kalsang Dadul, un des participants du programme d’hospitalité : « le christianisme et le bouddhisme sont à plusieurs égards les parents spirituels du monde (…) », Aide Inter-Monastères North American Board for East-West Dialog Bulletin 20 (1984), p. 9. À la phase III du programme d’hospitalité, il est reconnu que chrétiens et bouddhistes ont ensemble le potentiel de changer le monde pour le mieux. Voir R. Fox, « S. Ruth Recounts Tibetan Buddhist Hospitality », The Benedictine Witness (janvier 1987), p. 3. Cela sera rappelé en 1994 lors du colloque interreligieux de Taïwan ; voir « Bouddhisme et christianisme : convergences et divergences. Déclaration finale d’un colloque interreligieux à Taiwan », Documentation catholique 2130 (21 janvier 1996), p. 94. Le Dalaï Lama soutient à Dharamsala en 1989 lors de la phase V du programme d’hospitalité que ce dialogue monastique est un ideal model et contribue ainsi à la paix universelle. Aide Inter-Monastères North American Board for East-West Dialog Bulletin 38 (1990), p. 3.
[5] Karl Rahner et Herbert Vorgrimler, Petit dictionnaire de théologie catholique, Paris, Seuil, 1970, p. 391.
[6]Rappelons-nous ces mots de Le Saux qui traduisent son étonnement devant la façon mystérieuse dont Dieu se manifeste : « J’étais venu ici pour te faire connaître à mes frères hindous et c’est toi qui t’es fait connaître à moi ici par leur entremise, sous les traits bouleversants d’Arunāchala. » Henri Le Saux (Swâmâ Abhishiktānanda), La montée au fond du cœur. Le journal intime du moine chrétien-sannyasi hindou, 1948-1973, Paris, Œil, 1986, p. 202.
[7] Aide Inter-Monastères North American Board for East-West Dialog Bulletin 28 (1987), p. 1.
[8]Monastic Interreligious Dialogue Bulletin 48 (1993), p. 1.
[9] « Attitude de l’Église catholique devant les croyants des autres religions. Réflexions et orientations concernant le dialogue et la mission », Città del Vaticano, Secretariatus pro non christianis, pentecôte 1984, p. 19.
[10] Voir le compte-rendu de cet échange livré dans l’ouvrage de Benoît Billot, Voyage dans les Monastères zen, Paris, DDB, 1987. Béthune précise que lors de cet échange, les 17 participants chrétiens, dont trois Abbés, « ont compris qu’en de tels échanges on ne pouvait pas se limiter à une comparaison entre les différentes pratiques monastiques, mais qu’il fallait prendre à cœur les raisons de vivre de ceux qui nous accueillaient, qu’il fallait entrer non seulement dans leurs maisons, mais encore dans leur spiritualité. Cela supposait une grande confiance réciproque. » Pierre-François de Béthune, « Note sur les échanges spirituels Est-Ouest depuis les origines », Dilatato Corde 2/1 (January - June, 2012).
[11]Ajoutons que la commission intermonastique pour l’Inde et le Sri Lanka, établie en 1993 – à la suite d’un échange où Tai Situ Rinpoche invita dans son monastère Sherab Ling un groupe de moines d’Europe ; c’est lors de cet échange que Bede Griffiths donna sa dernière conférence publique –, créée officiellement en 1995 et rebaptisée Benedictine Indian Dialogue (BID) en 1999, a organisé des rencontres avec des hindous, des musulmans, des bouddhistes, des Jains, des Sikhs ou encore des membres de la foi Bahaï, consciente fut-elle de la nécessité de nourrir une compréhension mutuelle dans un pays, l’Inde, où plusieurs religions cohabitent non sans difficultés. Le BID mesurait à la fin du millénaire l’importance de son rôle pour faire reconnaître la vraie nature du christianisme à une époque où un certain hindouisme devenait militant. Notons par ailleurs que des échanges eurent lieu aussi avec des soufis, notamment par les Trappistes français de Tibhirine en Algérie dans le cadre du groupe interreligieux Ribât al-Salâm ou « Lien de la paix ». Au niveau international, une série de dialogues avec des musulmans shiites d’Iran (Monks and Muslims) fut initiée par le DIM·MID en 2011.
[12] Voir mon article: « Monastic Interreligious Dialogue », dans : Kaczynski, Bernice M. (dir.), The Oxford Handbook of Christian Monasticism, Oxford, Oxford University Press, 2020. Cet article repose sur l’idée que l’hospitalité a toujours été une vertu chrétienne, bien qu’elle ait donné lieu à diverses manières d’être au monde parfois éloignées les unes des autres. Les Hospitaliers de saint Jean, en tant que moines soldats, en sont une manifestation radicale à l’opposé des moines en dialogue (DIM·MID). Nous montrons que ces derniers, en incarnant symboliquement plusieurs aspects des premiers, ouvrent la voie à un nouvel hospitalier pour qui la relation à l’autre croyant n’est pas une menace à sa foi mais le lieu privilégié de son expression.
[13]Notons que la dimension critique du DIM·MID mériterait d’être développée en soi dans un autre article pour ne pas rallonger celui-ci. Les commissions intermonastiques font face à des défis qu’il importe de relever, sinon de mesurer, afin de ne pas compromettre leur mission. En voici quelques-uns. En plus d’être une minorité au sein de la famille bénédictine, les moines en dialogue véritablement engagés à articuler la vision de leur mouvement, à la porter et à la mettre en œuvre sont encore moins nombreux, sans compter la difficulté d’assurer la relève. Ajoutons à cela une diversité d’opinions et d’approches théologiques au sein du DIM·MID ; si donc quelques-uns en articulent la vision, tous n’y adhèrent pas nécessairement. Un autre défi consiste à promouvoir l’esprit du DIM·MID en dehors des milieux monastiques, à l’échelle de l’Église et au-delà ; seulement ainsi, croyons-nous, pourra-t-il induire une transformation des consciences pour une unité dans le respect des différences. La revue Dilatato Corde en est un bel exemple. Il reste qu’il n’est pas facile pour les moines de trouver l’équilibre entre maintenir la cohérence de leur vie communautaire et l’ouverture au monde. On peut aussi s’interroger sur les raisons et les conséquences du manque de réciprocité en ce qui a trait au dialogue avec les bouddhistes. S’intéresser à cette question implique de donner davantage la parole à ces derniers, de relayer leurs points de vue, ce qui n’est pas encore assez le cas, afin de mieux cerner et leurs motivations à participer aux échanges et les fruits qu’ils en retirent.
[14]Le DIM·MID est issu de l’AIM (Aide à l’implantation monastique), un Secrétariat pour la mission fondé en 1960 regroupant pour la première fois la grande famille de saint Benoît en vue de promouvoir l’établissement de nouvelles fondations d’abord en Afrique, puis en Asie.
[15] « Discours de S.S. Paul VI lors de l’ouverture de la deuxième session du Concile », dans Paul-Aimé Martin (éd.), Vatican II. Les enseignements conciliaires. Texte intégral, Montréal, Fides, 2001, p. 643.
[16] Thomas Merton, The Asian Journal of Thomas Merton, New York, New Directions Books, 1975, p. 340.
[17]La réunion qui eut lieu au monastère des bénédictines de Béthanie, à Loppem, près de Bruges en Belgique, du 20 au 29 août 1977, est à l’origine de la création de la sous-commission européenne pour le dialogue interreligieux au sein de l’AIM.
[18] Rapport non publié.
[19]Cette citation est tirée d’un enregistrement effectué avec son auteur en 1997.
[20]Monastic Interreligious Dialogue Bulletin 74 (avril 2005), p. 47.
[21]L’AIM a organisé des congrès pan-monastiques en Afrique et en Asie pour aider les chrétiens autochtones à faire face aux problèmes missionnaires dans leur contexte local et spécifique. En Asie, il faut noter la tenue des congrès de Bangkok (1968), de Bangalore (1973) et de Kandy (1981).
[22] Bede Griffiths, Expérience chrétienne et mystique hindoue, Paris, Albin Michel, 1995.
[23] Thomas Merton, La sagesse du désert. Aphorismes des Pères du désert, Paris, Albin Michel, 1987, p. 36.
[24]Lors du East-West Symposium, organisé par le MID, sur une mystique de l’intégration et tenue à Holyoke (Massachutsetts) les 19-23 novembre 1980, il fut souligné : « The modern monk does not want to renounce the created world nor deny the fullness of his/her humanum, but rather to transform, build and assimilate. », Aide Inter-Monastères North American Board for East-West Dialog Bulletin 10 (janvier 1981), p. 1. Dans ce contexte, inspirés par le monachisme bouddhiste, des moines chrétiens ont soulevé la possibilité d’offrir un monachisme temporaire à ceux qui dans la société ressentent le besoin de vivre une vie ascétique et d’intériorité sans devoir renoncer à vie à leur famille et à leurs possessions. Appliquée dans de rares monastères, cette formule représente un défi majeur pour la structure monastique traditionnelle. Voir Francis V. Tiso, « Raimundo Panikkar on the Monk as ‘Archetype’ »,Dilatato Corde 1/2 (July – December, 2011).
[25] Fabrice Blée, The Third Desert. The Story of Monastic Interreligious Dialogue, Liturgical Press, Collegeville (MN), 2011, p. 9.
[26] Dans le rapport de la 7e rencontre annuelle de la sous-commission américaine pour le dialogue interreligieux monastique, on peut lire: « The members believe that the influence and resources of the Eastern traditions need to be placed, along with the riches of our own tradition, in relation to the human and specifically monastic crisis facing our communities. », Aide Inter-Monastères North American Board for East-West Dialog Bulletin 19 (février 1984), p. 2.
[27] Fabrice Blée, « Migration, mutations et mémoire chez Henri Le Saux : de l'Inde aux Pères du désert », Theoforum 49 (2019), p. 9-25.
[28] Aide Inter-Monastères North American Board for East-West Dialog Bulletin 22 (février 1985), p. 3.
[29] Pierre-François de Béthune, Par la foi et l’hospitalité, Clerlande, Publications de Saint-André, coll. Cahier de Clerlande, no 4, 1997, p. 109.
[30]Voir Bede Griffiths, Dialogue Interreligieux Monastique. Bulletin de la Commission Francophone d’Europe 8 (mars 1993), p. 1 ; William Johnston, Aide Inter-Monastères North American Board for East-West Dialog Bulletin 46 (1993), p. 6.
[31] DIM·MID International Bulletin International 1/E9 (2000), p. 2.
[32]Selon Le Saux, « the catholicity of Christianity is precisely put to the most severe test when it comes into contact with those Eastern religions. », Aide Inter-Monastères North American Board for East-West Dialog Bulletin 13 (1982), p. 6. Parmi les notions bouddhiques portant à une réinterprétation théologique du fait chrétien, mentionnons les suivantes : l’impermanence des choses et des personnes (anitya), leur non existence en soi (anātman), l’interdépendance de toute chose (pratītyasamutpāda), le caractère provisoire de la religion, des doctrines et des rites (upāya), la notion de vacuité (śūnyatā), ou encore l’appréhension du monde profane comme étant fondamentalement spirituel (samsāra est nirvāna).
[33] Fabrice Blée, « Shaping a New Ecological Consciousness. Insights from the Spirituality of Interreligious Dialogue ». Dans Mitchell, D., et W. Skudlarek (dir.), Green Monasticism. A Buddhist–Catholic Response to an Environmental Calamity, New York, Lantern Books, 2010, p. 167-179. Lors du premier International Buddhist-Christian Dialogue for Nuns à Fo Guang Shan, Kaohsiung, Taiwan, du 14 au 18 octobre 2018, organisé par le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux (PCID), en collaboration avec le monastère bouddhiste de Fo Guang Shan, l’Association desMajor Superiors of Religious Women de Taiwan et DIM·MID, les participants ont convenu que “we see the need of supporting students, teachers and parents and other walks of life to be ambassadors of peace and harmony and of empowering them to be a voice in the world inviting humanity to walk on the path of ecological healing and nonviolence”.
[34]Béthune écrit : « Il faudrait encore parler de la notion de moyen salvifique ('upaya'). Selon cette conception, les Ecritures, les rituels, les institutions, les méthodes spirituelles, tout cela ne sont que des moyens, respectables certes et utiles, mais pas sacrés. Il ne faut surtout pas s'y attacher. Seule l'expérience intime et transformante est importante tandis que tout le niveau des moyens est relativisé. Dès lors une grande liberté est permise vis-à-vis de ce qui constitue la 'religion'. » Pierre-François de Béthune, « Le défi du bouddhisme », Dialogue Interreligieux Monastique 5 (janvier 1998).
[35] Des moines du DIM·MID ont réagi à plusieurs reprises contre une vision erronée du bouddhisme notamment face aux propos controversés de Jean-Paul II qui, dans son livre Entrez dans l’espérance (Plon-Mame, 1994), une vision pessimiste du bouddhisme pour lequel, selon lui, le monde est mauvais, ou à ceux du cardinal Ratzinger qui, dans L’Express du 20 mars 1997, compare les pratiques orientales à de l’auto-érotisme. Voir Fabrice Blée, Le dialogue interreligieux monastique. L’expérience nord-américaine. Histoire et analyse, Montréal, Université de Montréal, 1999, p. 230-232.
[36] Voir Louis Bouyer, Introduction à la vie spirituelle. Précis de théologie ascétique et mystique, Paris, Desclée, 1960, p. 4. Béthune invite à ne pas comprendre les autres religions à partir d’a priori : « Une façon trop facile de procéder consiste à faire entrer des pratiques étrangères dans nos catégories pour ainsi pouvoir donner une appréciation rapide concernant leur ‘monisme, pélagianisme. Quiétisme’ ou autres ‘ismes’. Mais une telle mise en catégories préétablies nous empêche d’atteindre la nature toujours unique de ces recherches spirituelles. », Pierre-François de Béthune, Par la foi et l’hospitalité, Clerlande, Publications de Saint-André, coll. Cahier de Clerlande, no 4, 1997, p. 32. Par ailleurs, il ajoute : « Il était essentiel de prendre en compte l’altérité des ‘non chrétiens’ pour les respecter totalement. », p. 75.
[37]Armand Veilleux (OSCO), en tant que président du MID alors connu comme le North American Board for East-West, rappela aux moines l’importance de se rallier à ceux qui, comme eux, cherchent Dieu et avec qui ils poursuivent un but commun, la paix. Voir A. Veilleux, « Monasticism and Global Perspective », The Benedictine Congress : Workshop and Interest sessions, 20 juin 1980, St. John’s Abbey, p. 14. Rapport non publié.
[38]« Programme for Interreligious Monastic Dialogue » (p. 4) dans le rapport (non publié) de la réunion du DIM tenue à Vanves (Paris) les 26-27 novembre 1985.
[39]Questionnaire non publié. Voir aussi Henri Le Saux, Monastic Interreligious Dialogue Bulletin 48 (janvier 1994), p. 20 ; O Baumer-Despeigne, « Cheminement spirituel d’Henri Le Saux (Textes inédits) », La vie spirituelle 144 (1990), p. 532 ; Bede Griffiths, Aide Inter-Monastères North American Board for East-West Dialog Bulletin 36 (octobre 1989), p. 7 ; James Conner, Aide Inter-Monastères North American Board for East-West Dialog Bulletin 42 (octobre 1991), p. 20; James Wiseman, Aide Inter-Monastères North American Board for East-West Dialog Bulletin 42 (octobre 1991), p. 9.
[40] Pierre-François de Béthune, Par la foi et l’hospitalité, Clerlande, Publications de Saint-André, coll. Cahier de Clerlande, no 4, p. 93.
[41]Peter Phan, « L’Esprit Saint comme fondement du dialogue interreligieux », Dans : Fabrice Blée et Achiel Peelman, Le dialogue interreligieux : Enjeux et perspectives. N’éteignez pas l’Esprit!, Montréal, Novalis, pp. 39-40.
[42] Fabrice Blée, The Third Desert. The Story of Monastic Interreligious Dialogue, Liturgical Press, Collegeville (MN), 2011, p. 215. Voir aussi William Skudlarek dans le film de Lizette Lemoine et Aubin Hellot, La voie de l’hospitalité, 2016. (2’28’’) La préservation des héritages religieux fut déjà évoquée par Merton lors de son discours de Calcutta en octobre 1968 : « The point to be stressed is the importance of serious communication, and indeed of ‘communion’ among contemplatives of different traditions, disciplines, and religions. This can contribute much to the development of man at this crucial point of his history. Indeed, we find ourselves in a crisis, a moment of crucial choice. We are in grave danger of losing a spiritual heritage that has been painfully accumulated by thousands of generations of saints and contemplatives. It is the peculiar office of the monk in the modern world to keep alive the contemplative experience and to keep the way open for modern technological man to recover the integrity of his own inner depths. », Thomas Merton, The Asian Journal of Thomas Merton, New York, New Directions, 1975, p. 317.
[43] Aide Inter-Monastères North American Board for East-West Dialog Bulletin 10 (janvier 1981), p. 9.
[44] Aide Inter-Monastères North American Board for East-West Dialog Bulletin 3 (octobre 1978), p. 7.
[45] Voir Jacques Dupuis, La rencontre du christianisme et des religions. De l’affrontement au dialogue, Paris, Cerf, 2002, p. 304.
[46]North American Board for East-West Dialog Bulletin 39 (octobre 1990), p. 11.
[47] John Moffitt, « La rencontre de Bagkok. Chronique », Bulletin de l’AIM 9 (1969),
[48] Voir Richard P. McBrien, Catholicism, New York, HarperCollins, 1994, p. 1019.
[49] Il ne s’agit pas ici d’évacuer toute image mais de retrouver leur dimension symbolique ; le symbole tire son efficience non pas de son caractère absolu, mais en fonction de sa capacité à renvoyer à l’au-delà du signe.
[50] Mettre l’accent sur l’Esprit du Christ coïncide avec l’exigence de son incarnation, d’en vivre plus que d’en parler, ce que le Dalaï Lama n’a pas hésiter à rappeler : « J’ai lu la Bible. Elle a été traduite en tibétain. Mais le message du Christ, je l’ai compris par l’action de certaines personnes qui le vivent. Des êtres comme mère Teresa, Thomas Merton, Bede Griffiths [...] sont des évangiles vivants. Chez ces personnes, j’ai trouvé beaucoup de similitudes avec l’approche bouddhiste de la vie religieuse. » (L’Actualité religieuse dans le monde, no 2 (octobre 1993), p. 34.) Les moines en dialogue sont sensibles à cette exigence rappelée aussi par Merton lors du congrès de Bangkok : ce à quoi nous sommes conviés « ce n’est pas tant à parler du Christ qu’à le laisser vivre en nous, afin qu’on puisse le sentir selon la manière qu’il a de vivre en nous. », John Moffitt, «Memories of Thomas Merton», Cistercian Studies, no 14, 1979, p. 73.
[51]Marie-Madeleine Davy, Henri Le Saux. Le passeur entre deux rives, Paris, Albin Michel, 1997, p. 158.
[52] Aide Inter-Monastères North American Board for East-West Dialog Bulletin 10 (janvier 1981), p. 2.
[53] Aide Inter-Monastères North American Board for East-West Dialog Bulletin 33 (octobre 1988), p. 12.
[54]Normand Provencher, « Les orientations et les enjeux des christologies contemporaines », Science et Esprit XLIX/1 (1997), p. 22.
[55] Mayeul de Dreuille, « Monks of Today and Dialogue between the Major Religions », Bulletin de l’AIM 34 (1983), p. 147.
[56] Voir l’entrevue de D. Steindl-Rast à Oprah’s SuperSoul Conversations. (9’15’’)
[57] Henri Le Saux, Éveil à soi, éveil à Dieu, Paris, Le Centurion, 1971.
[58]Pierre-François de Béthune, Par la foi et l’hospitalité, Clerlande, Publications de Saint-André, coll. Cahier de Clerlande, no 4, pp. 123-125.
[59]Précisons avec Panikkar que l’immanence « ne désigne pas un type de transcendance intérieure comme on le pense souvent. Cela veut dire que la ‘chose’ immanente est réellement dans le cœur même de cette entité, et d’une certaine façon identifiée à elle, quoique sans confusion. De nombreuses images suggèrent ceci : la grotte (guha), le point, le vide (sunyata), la non-pensée (mu), la matrice, le miroir net, le non-être. Le chemin est l’introspection, le voyage intérieur. » Raymond Panikkar, Éloge du simple. Le moine comme archétype universel, Paris, Albin Michel, 1995, p. 34.
[60] Lors de sa rencontre le 29 novembre 2017 au Kaba Aye Centre, à Rangoun au Myanmar, avec le comité d’état Shanga Maha Nayaka des moines bouddhistes, le pape François déclare : « The great challenge of our day is to help people be open to the transcendent. To be able to look deep within and to know themselves in such a way as to see their interconnectedness with all people. To realize that we cannot be isolated from one another. If we are to be united, as is our purpose, we need to surmount all forms of misunderstanding, intolerance, prejudice and hatred. »
[61]Voir Évagre le Pontique, Sur les pensées, Paris, cerf, 2017.
[62] Mary-Margaret Funk va dans le sens d’une vitalisation réciproque lorsqu’elle affirme : « I would like to call attention to the depth of Christianity while calling others to the depth of their own traditions. We can then follow those ancient paths with a new vigor. We are all retrieving, reclaiming and reappropriating traditional values. », « A Dialogue with Sr. Mary Margaret Funk », Branching Out 8/2 (avril-juin 1994), p. 8.
[63]Fabrice Blée, « Le ‘pur amour’ selon Madame Guyon : origine et conséquences d’un malentendu ». Dans Blée, F. (dir.), La mystique démystifiée, Montréal, Novalis, 2010, pp. 78-79.
[64] Pierre-François de Béthune, Par la foi et l’hospitalité, Clerlande, Publications de Saint-André, coll. Cahier de Clerlande, no 4, 1997, p. 68. Voir aussi « Le silence, chemin de dialogue. Réflexions sur l’expérience des moines en dialogue », Chemins de dialogue 6 (octobre 1995), p. 205 ; « Monks in Dialogue with Believers from Other Religions », Studies in Formative Spirituality, XIV/1 (février 1993), p. 136 ; P.-F. de Béthune, « Le dialogue des spiritualités », Bulletin. Pontificum Consiluim pro Dialogo Inter Religiones 92 (1996/2), p. 251.
[65] Le Saux décrit de façon éloquente le rôle déterminant du dialogue de l’expérience religieuse dans l’effort de répondre à la crise actuelle : « La solution à la crise que traverse le monde doit être trouvée en commun par des personnes de bonne volonté, par tout homme dédié à la vérité, quelle que soit la voie dans laquelle la vérité se manifeste dans la profondeur de son coeur. Leur dialogue sera une torche qui examinera les sociétés actuelles, mais il scrutera en premier lieu le coeur de ceux qui y prennent part. Ce sera le test de leur allégeance à la vérité seule dans leur engagement religieux ou humaniste. » Le Saux, « The Depth-Dimension of Religious Dialogue », Vidyajyoti, no 45, 1981, p. 210.
[66] « There is something behind history to which the monk bears witness, i.e., the ‘trans-historical’ awareness of reality. », Aide Inter-Monastères North American Board for East-West Dialog Bulletin 10 (janvier 1981), p. 2.
[67] Aide Inter-Monastères North American Board for East-West Dialog Bulletin 12 (octobre 1981), p. 7.
[68]Le dépassement de soi obéit ici à deux conditions majeures : 1) transcender le moi qui n’est pas Dieu ; 2) s’en remettre à l’Esprit Saint (du point de vue chrétien) qui, seul, permet de transcender le moi en question.
[69] Daisetz Teitaro Suzuki, The Training of the Zen Buddhist Monk, Boston, Charles E. Tuttle, 1994, p. 48.
[70]Monastic Interreligious Dialogue Bulletin 49 (janvier 1994), p. 23.
[71] Pierre-François de Béthune, Par la foi et l’hospitalité, Clerlande, Publications de Saint-André, coll. Cahier de Clerlande, no 4, 1997, p. 117.
[72] Notons que ce rôle universel du moine n’est pas nouveau ; on en retrouve la trace dans le rapport du congrès de Bangalore (1973) : « Le monde d’aujourd’hui a soif de libération, et tout problème actuel qui n’est pas posé sur l’arrière-fond d’un horizon universel est erroné du point de vue méthodologique. Le moine ne doit pas être un homme étroit d’esprit, mais un homme avec une conscience planétaire. » Daniel O’Hanlon, « Les Moines d’Asie découvrent l’Asie », Bulletin de l’A.I.M., no 16, 1974, p. 20. Les moines en dialogue s’efforceront d’incarner ce rôle confirmé par l’abbé primat des Bénédictins : « C’est notre tâche de souligner les valeurs des diverses religions du monde en espérant qu’à travers la connaissance et le dialogue, nous, qui appartenons aux instituts monastiques, puissions contribuer à la construction de la paix dans le monde. Pax est un don de saint Benoît qui nous est adressé et notre don au dialogue interreligieux. » Jérôme Theisen, « Abbot Primate Announces New General Secretariat », Monastic Interreligious Dialogue, no 52, 1995, p. 2.
[73] Armand Veilleux, « The Contractions and Birthpangs of a New Mankind », Aide Inter-Monastères North American Board for East-West Dialog Bulletin 6 (octobre 1979), p. 7.
[74] Raimon Panikkar, « Religious Identity and Pluralism », dans: Arvind Sharma et Kathleen M. Dugan, A Dome of Many Colors. Studies in Religious Pluralism, Identity, and Unity, Trinity Press International, Harrisburg, Pennsylvania, 1999, pp. 28-29.
[75] Bede Griffiths décrit ainsi la promesse d’une telle rencontre : « The new world must therefore be the creation of East and West together seeking to recover the wisdom which has been lost and to advance into a new age beginning. », Aide Inter-Monastères North American Board for East-West Dialog Bulletin 10 (janvier 1981), p. 8.
[76] Nous nous référons ici moins au fait de défendre l’idée même d’une transcendance que de préserver l’expérience d’une vie transformée par la Présence divine sans commune mesure avec la volonté humaine.
[77] Aide Inter-Monastères North American Board for East-West Dialog Bulletin 14 (mai 1982), p. 11.
[78]Catéchisme de l’Eglise catholique, Paris, Mame-Plon, 1992, p. 84.
[79] Lettre encyclique de Paul VI sur le développement des peuples, Populorum Progession, 26 mars 1967, chapitre 82 : chrétiens et croyants.
[80]La réunion qui eut lieu à Maria Asumpta Academy, non loin de l’abbaye de Spencer, dans la ville de Petersham (Massachutsetts) aux États-Unis, du 4 au 13 juin 1977, est à l’origine de la création de la sous-commission américaine pour le dialogue interreligieux au sein de l’AIM.
[81] Denyse Lavigne, « Petersham... a threshold », North American Board for East-West Dialogue, no 2, 1978, p. 5.
[82]Jacques Dupuis, La rencontre du christianisme et des religions. De l’affrontement au dialogue, Paris, Cerf, 2002, pp. 339-344.
[83] Jean Leclercq anticipe cette dimension eschatologique de l’hospitalité dans un article publié en 1973 : « When monasteries receive guests, both now and in the future, it should be seen as an anticipation of that translucent openness which will unite the inhabitants of the city of God. When each will be transparent to the other because all will be penetrated with the glory of Jesus Christ. » J. Leclercq, « Hospitality and Monastic Prayer », Cistercian Studies 3 (1973), p. 24.
[84] Mary L. O’Hara, « Report of the Meeting on Inter-Religious Dialogue held at Maria Assumpta Academy, Petersham, Mass. U.S.A. », 4-13 juin 1977, p. 5. Rapport non publié. Thomas Keating va dans le même sens en précisant que cette unité du genre humain s’inscrit dans un rapport contemplatif à la réalité : « Humanity as a whole needs a breakthrough into the contemplative dimension of life. The contemplative dimension is the heart of the world. There the human family is already one. If one goes into one’s own heart – one will find oneself in the heart of everyone else. », Aide Inter-Monastères North American Board for East-West Dialog Bulletin 17 (mai 1983), p. 10.
[85] Thomas Merton, The Asian Journal of Thomas Merton, New York, New Directions Books, 1975, p. 308.
[86]Pierre-François de Béthune, Par la foi et l’hospitalité, Clerlande, Publications de Saint-André, coll. Cahier de Clerlande, no 4, 1997, p. 94.
[87] Guy Lapointe, La communauté Saint-Albert-le-Grand. Quelques rappels historiques.
[88] Donald S. Lopez et Steven C. Rockfeller, The Christ and the Boddhisattva, New York, State University of New York Press, 1987, p. 30.
[89] Cornelius Tholens, « Une Enquête auprès des monastères d’Occident pour la poursuite du dialogue inter-religions », Bulletin de l’A.I.M., 1975, no19, p. 49.
[90] Richard P. McBrien, Catholicism, New York, HarperCollins, 1994, p. 1023.
[91] Le rapport aux pensées est central sur la voie de l’union divine ; pour Jean Cassien elles déterminent notre devenir : « Aussi faut-il se mettre, avant la prière, dans les dispositions que l’on veut avoir en s’y livrant ; car c’est une loi fatale, que les dispositions de l’âme dépendent alors de l’état qui a précédé ; et nous la verrons ou s’élever vers les hauteurs du ciel ou s’abîmer vers la terre, suivant les pensées auxquelles elle sera précédemment arrêtée. » Jean Cassien, Les conférences, tome 1, Saint-Maximin, Librairie Saint Thomas d’Aquin, 1920), p. 563.
[92] Cette idée a été rapportée dans : William Johnston, Christian Zen, New York, Harper and Row, 1971, p. 1. |
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