M. Michel Cazeaux sur la musique sacrée du judaïsme
CHANT ET ESPACE. LA VOIX DANS LES DIFFERENTES TRADITIONS RELIGIEUSES
Pour organiser la 5ème rencontre interreligieuse sur la Colline de Ronchamp (France), les organisateurs – dont nous, sœurs clarisses – avaient l’impression d’être dirigés par le Deus Ludens, cette divine sagesse, qui prend plaisir de jouer parmi les enfants des hommes. Une école de souplesse, de discernement, d’audace et de prudence en raison des contraintes, règlements changeants imposés en raison de la pandémie covid-19 : disponibilité d’intervenants, heure de couvre-feu, limitation du nombre des participants, etc. Mais à la fin de la rencontre, qui avait lieu dans la chapelle dépouillée que l’agnostique Le Corbusier a construite sur ce lieu de pèlerinage marial, nous étions dans la joie et l’action de grâce d’avoir maintenu ce rendez-vous annuel, même dans une forme plus modeste.
En effet, nous étions à peu près 80 personnes, réunies par le thème « Chant et espace. La voix dans les différentes traditions religieuses ». En cet après-midi du 6 juin, trois traditions spirituelles se sont réunies pour partager leur musique sacrée, et ce moment de partage, dans ce haut-lieu de l’architecture contemporaine, s’est avéré vraiment une expérience spirituelle interreligieuse profonde, transcendant le plaisir esthétique. Les intervenants sont venus de la tradition juive, chrétienne et bouddhiste.
M. Michel Cazeaux, de tradition juive, conférencier, musicien, compositeur, a ouvert la rencontre en nous invitant à chanter « Hava nagila », Réjouissons-nous ! Il nous a ramené au récit de la création. En effet, dès l’origine de la création, nous trouvons souffle, voix, son, parole, puis langage. La structure du son et des harmoniques intéresse même les scientifiques. « Où est né le chant dans les religions ? », posait-il la question, en répondant tout de suite : « dans des lieux de résonnance : les grottes. » Mais la musique n’est pas seulement un art de l’espace, elle est aussi un art du temps, à l’inverse de l’architecture qui est d’abord un art de l’espace. Et quand les résonances spatiales de nos sanctuaires, et celles des résonances buccales dans les voix humaines entrent en harmonie, elles font écho au mystère du langage, elle-même une sorte d’architecture. La voix devient alors le miroir qui dévoile la beauté́ du monde et de la création. Par des petites expériences, notre ami nous a également montré comment la musique et le chant sont des témoignages de la richesse de la pluralité et de nos diversités : les différences enrichissantes qui existent entre voix d’homme et de femme, soprane ou baryton, ou encore la présentation : comment à partir d’une gamme de 7 notes, des tonalités diverses peuvent être créées avec l’introduction d’une altération à tel ou tel moment de la gamme. Et nous voici devant les tonalités de la musique indienne, chinoise, etc.
En effet, la nouveauté réjouissante de cette rencontre était la présence des amis bouddhistes. C’est notre petite communauté contemplative qui a établi des contacts au cours de l’année dernière avec quelques membres des petits sanghas, groupe de méditation de la région, affiliés à un centre zen sôtô ou un monastère bouddhiste de la lignée tibétaine Kagyüpa. C’est ainsi que Lama Tsultrim Guèlek du centre monastique de Lusse, accompagnée de deux de ses moines, après une petite introduction au chemin de Bouddha, nous a offert un bel enseignement sur l’esprit fondamental de leur pratique de méditation. La place du chant des mantras dans les pratiques spirituelles quotidiennes, et comment la méditation et autres pratiques « liturgiques » aident à transformer la vie quotidienne en un chemin d’éveil. L’insistance sur la concentration juste, la présence, recueillement intérieur pendant nos pratiques spirituelles, et grâce à cela dans nos gestes les plus simples dans des occupations les plus banales, ont résonné peut-être avec encore plus de force dans nos cœurs de contemplatives franciscaines. Lama Tsultrim a entonné le vœu du Mahamoudra, « …Bouddhas et Bodhisattvas des dix directions, par la force de votre compassion, et de l'ensemble des actes de Bien qui se perpétuent, puisse cette supplique, pour tous les êtres et pour moi-même, s'accomplir parfaitement. »
Un moment lumineux fut la découverte du mantra du bodhisattva Tchenrézi. A la fin de son intervention le Lama a proposé à ceux et celles qui ont désiré de le rejoindre dans le chant de ce grand mantra de compassion « Om maṇi padme hūm », qui fut suivi un temps de silence où nous avons appelé le Bien et la Bénédiction, fruits de notre rencontre à tous, proches et lointains. Une chose est sûre : après avoir chanté ensemble, lentement ces mots portant un grand mystère de compassion, comment ne pas prier désormais en cette chapelle mariale en communion avec des priants des autres traditions ?
M. Roland Muhlmeyer nous a offert le pendant chrétien en nous chantant quelques pièces grégoriennes, et offrant quelques clefs de lecture. Spiritus Domini replevit Orbem terrarum, l’antienne de la Pentecôte, inspirée de Sg 1,7 est pour nous une sorte de clé liturgique, scripturaire et théologique de toute cheminement et dialogue interreligieux. Et bien sûr, en ce lieu marial, où nous pourrions vraiment vénérer Marie sous le vocable de « Notre-Dame du Monde Entier », notre ami a fait résonner des antiennes et hymne comme Ave Maria, Salve Regina, choisissant comme un clin d’œil, des tonalités typiquement monastiques, cisterciennes.
Pour introduire cette première participation de nos frères et sœurs bouddhistes, laïcs et moines, à la rencontre de Ronchamp, Sœur Marie-Claire-Denys a rappelé les mots de Thomas Merton à Calcutta : nous sommes réunis pour boire des anciennes sources de sagesse, non pas pour devenir plus riches en connaissances (quantitativement), mais être meilleurs moines, moniales, croyants, qualitativement. Et pour attirer l’attention à la présence et rencontre monastique, qui a marqué le cœur de cette rencontre, elle a cité la lettre de cardinal Pignedoli, encouragant les débuts du DIM. Oui, nous avons pu toucher du doigt cette compréhension tacite qui existe entre moines, moniales de différentes traditions religieuses. Mais nous avons été aussi renforcés dans la conviction qu’un noyau « intermonastique » peut servir des rencontres plus larges, peut aider à établir des contacts, même entre différentes communautés bouddhistes qui se sont rencontrées à Ronchamp pour la première fois.