VOLUME IX, Number 1
January - June, 2019
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L’ACCOMPLISSEMENT DANS L’EXPERIENCE
INTERRELIGIEUSE MONASTIQUE D’HENRI LE SAUX
 
Les théologiens du pluralisme religieux sont d’accord sur le fait qu’on ne peut pas mettre sur un pied d’égalité la préparation d’Israël à l’événement Jésus-Christ et celle, opérée elle aussi par Dieu parmi les nations. Dans la théologie post-conciliaire s’affirme progressivement la reconnaissance d’une « vocation permanente du peuple juif ».Il existerait un rapport dialectique entre judaïsme et christianisme, qui comporte à la fois rupture et continuité : les promesses du peuple de Dieu trouvent leur accomplissement dans le Christ et dans le peuple de la nouvelle Alliance et pourtant l’Église ne se substitue pas à Israël. Le rapport de l’Église naissante au judaïsme, et la face à face permanent d’Israël et de l’Église a une valeur de paradigme quant au rapport actuel du christianisme aux autres religions. L’Église n’intègre pas Israël en le remplaçant, tout comme elle ne remplace pas la part d’irréductible dans l’ordre religieux dont les autres traditions spirituelles peuvent êtreporteuses.
 
Je propose ici de jeter un regard sur le processus de transformation observée dans le cheminent contemplatif (spirituel) et intellectuel (théologique) d’Henri Le Saux quant à sa compréhension du concept d’accomplissement. Dans un premier point nous essayons de dégager la théorie de l’accomplissement à partir de ses écrits. Le deuxième point donnera un bref aperçu de sa double expérience chrétienne et advaitique[1], puis notre troisième point, qui servira aussi de conclusion présentera quelques réflexions de Raimon Panikkar, qui offre une sorte de corrélatif théologique de l’expérience spirituelle d’Henri Le Saux.
 
Henri Le Saux et la théologie del’accomplissement
 
Henri Le Saux (1910-1973) est entré à l’abbaye bénédictine de Kergonan en 1929. Après avoir prononcé ses vœux monastiques perpétuels, il exerça des fonctions de bibliothécaire, de professeur de l'histoire de l’Église et de patristique. Moine, contemplatif, il aspire à trouver d’une manière plus immédiate la présence de Dieu.
 
Dès 1934, il entend l’appel de l’Inde comme vocation de sa vie. Il désire établir une vie monastique contemplative dans l'église indienne et y participer, ou au moins y mener une vie contemplative dans un ermitage. En 1948, il rejoint en Inde Jules Monchanin, prêtre originaire de Lyon, arrivé en Inde 9 ans auparavant, avec qui il fonde l’ashram de Shantivanam. Monchanin était un véritable maître à penser des milieux d’avant-garde du catholicisme lyonnais, ami d’Henri de Lubac et de Louis de Massignon, un des premiers membres du Groupe des Dombes. Il est aussi un contemplatif, nourri des Pères grecs et des mystiques d'Occident, surtout des rhénans.
 
Des recherches sur l’expérience spirituelle de Le Saux, sur son influence sur la théologie des religions montrent que, dans ses premières années indiennes, sa vision sur l’hindouisme est influencée par la réflexion théologique de Monchanin. Dans son livre le plus systématique, Sagesse hindoue, mystique chrétienne (dont Le Saux n’assumera plus entièrement la vision théologique dans les dernières années de sa vie), il se réfère aux auteurs favoris de Monchanin (Grégoire de Nysse, Ruysbroeck, Teilhard) et emploie abondamment les catégories clés de ce dernier, comme co-esse ou pleroma. La dépendance des premiers ouvrages de Le Saux d’auteurs comme Monchanin, de Lubac ou Rahner nous permet d’affirmer que sa position de départ est en accord avec la « théologie de l’accomplissement ».
 
Dans La rencontre de l’hindouisme et du christianisme Le Saux relate les travaux d’un groupe théologique qui s’est formé pour étudier et méditer la Bible et les upanishads. Il y dit que parallèlement aux préparations « dans le monde sémite, en vue de l'émergence, dans l'histoire, du peuple porteur des promesses de rédemption [et dans les civilisations] de la Grèce et de Rome, qui seraient le lieu prédestiné des deux premiers millénaires de l'Église [l'Esprit était déjà à l’œuvre en Inde] en vue des temps où l’Église deviendrait suffisamment forte pour assimiler la nourriture des forts »[2], à savoir ces trésors d’intériorité et de contemplation dont l’Inde est la dépositaire. Dieu préserve des richesses spirituelles et les fait fructifier au sein de l’hindouisme même, parce que les chrétiens ne sont pas encore prêts à les recevoir. L’Église ne devrait considérer les traditions religieuses des Gentils et leurs manifestations dans la vie des peuples en dehors de leur réalité eschatologique, de leur accomplissement « au sein du Plérôme lui-même »[3].
 
Selon la « théorie de l'accomplissement » les diverses religions représentent l'aspiration innée en l'homme à l'union avec le Divin, dont elles sont des expressions différentes dans les cultures et aires géographiques diverses. Jésus-Christ représente la réponse donnée par Dieu à cette aspiration universelle. Si les autres religions sont des expressions variées de l'homo naturaliter religiosus, et donc « religion naturelle », ce n’est qu’en Christ que Dieu répond à l'aspiration humaine. Seul le christianisme, en tant que réponse divine à la quête de Dieu, est « religion surnaturelle ». En Occident cette théorie est représentée par des théologiens tels Jean Daniélou, Henri de Lubac et d’autres. Elle se retrouve dans l'exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi (1975) de PaulVI.
 
Selon la théorie de l'accomplissement, le mystère du Christ atteint les membres des autres traditions religieuses, comme réponse divine à l'aspiration religieuse humaine ; mais les religions elles-mêmes ne jouent aucun rôle dans ce mystère de salut. Pour H. de Lubac leur attribuer une valeur salvifique positive équivaudrait à les mettre en compétition avec le christianisme et donc à obscurcir l'unicité de celui-ci. En s'appuyant sur P. Teilhard de Chardin, il souligne, que le plan divin ne peut être dépourvu d’ordre ; il y faut un point unique de convergence. Tel est bien le christianisme, seule voie de salut[4].
 
Cette image de convergence est reprise dans le récit d’un pèlerinage que Le Saux fait avec Raimon Panikkar, aux sources du Gange, dans les Himalayas. Ce pèlerinage aboutit à la célébration de l’Eucharistie – une sorte de « messe sur le monde » - car, écrit Le Saux « la montée de l’Inde vers ses sources doit s’achever dans l’Eucharistie. […] Tout fut créé dans le mystère du Corps du Seigneur et tout, mystérieusement se dirige vers Lui pour s’achever en Lui »[5]. L’eucharistie est célébration du mystère pascal, et Le Saux pense que la tradition advaitine doit passer par une mort et une résurrection pour entrer dans la plénitude de Dieu de la révélation chrétienne, car il y a une nuit, nuit spirituelle dans le passage du Védanta à l'Evangile. Et cette nuit est une nuit pascale.[6]
 
Expérience interreligieuse d’Abhishiktananda
 
Dès les années 1950, Le Saux ou swami Abhishiktananda commence à être persuadé que ce n’est pas exclusivement l’hindouisme qui est appelé à une transformation pascale mais aussi ceux qui, ayant reçu la révélation christique ont la charge de l’annoncer. « L'Inde n'entrera jamais dans cette nuit [pascale] avant que ceux qui l’appellent […] à y entrer n'y descendent eux-mêmes » – dit-il. « Il faut que le chrétien vive en soi-même l'angoisse de l'hindou qui a entendu l'appel du Christ, mais qui ne parvient pas à reconnaître comment le christianisme formulé, institutionnalisé […] peut être compatible avec l'expérience intérieure profonde dont ses gourous l'ont entretenu et qu'il a peut-être faite lui-même.[7]» Il est persuadé que ni une adaptation extérieure, ni même le discours théologique et le dialogue au niveau des concepts ne permettront la vraie rencontre des deux religions. Il choisit alors d’aller plus loin, en combinant en lui-même l’expérience chrétienne et celle de la tradition vedantine. Il essaie de laisser se rencontrer en soi-même, ces deux traditions, les laisser réagir l'une sur l'autre, en restant ouvert à ce que pourrait produire le choc d'une rencontre qui sans doute n'avait jamais encore eu lieu à la profondeur voulue et d’où pourra jaillir une nouvellelumière.
 
En 1949 il a rencontré le sage védantin, Ramana Maharshi, qui l’a tellement impressionné, qu’il désire devenir un « Ramana chrétien ». Swami Gnanananda, son gourou, l’a interpellé en l’invitant à aller au-delà de toute forme d’appartenance religieuse, ce qu’il n’a jamais complètement réalisé. L'expérience advaitique impose au bénédictin des renonciations radicales, qui sont comme conditions préalables à toute réalisation spirituelle authentique. Surtout s'impose le vide total de soi, qui seul permet l'éveil à l'Absolu. Son journal spirituel, La montée au fond du cœur décrit son tiraillement intérieur entre l'expérience d'advaita et son identité chrétienne. Ses expériences s’apparentent peut-être le mieux aux écrits de Pseudo-Denys, de Maître Eckhart, de Jean de la Croix, etc : c’est une sorte de théologie négative. Mais dans son Initiation à la Spiritualité des Upanishads, il recommande également d’aborder les textes avec une honnêteté intellectuelle, avec une certaine connaissance du sanskrit, une prise en compte des résultats obtenus par la philologie, pour ne pas projeter dans ces textes ses propres présupposés.[8] Malgré cela, ses critiques reprochent à Le Saux une connaissance et une utilisation pas suffisamment fouillée de la tradition vedantine. Son « comparatisme spirituel » et expérimental en souffre. Par exemple, il ne tient pas suffisamment compte de l'évolution des mots et des notions, mais il les saisit toujours dans un sens qui s'accorde le plus avec sa pensée ; il découpe les Upanishads dans un sens favorable à sa pensée,etc.
 
Le bénédictin-sannyàsi considère que le but ultime de la vie est l'expérience, ce contact direct qui dépasse tout symbole et concept, une immédiateté de l'esprit avec la réalité. Dans une lettre datée de 1956 il écrivait : « Un "Grec" doit passer par la nuit obscure de la Croix pour accepter le dépouillement absolu "intellectuel" que l'Inde a mission de réclamer du monde et du monde chrétien. Dieu est neti : « Ni ceci, ni cela » Toute "idée" de Lui est une « idole ». [Le chrétien qui pense en termes grecs] ne peut renoncer à la satisfaction […] de connaître soi-même Dieu, d'aimer soi-même Dieu ». En Occident, Jean de la Croix parle de la nuit de l’esprit, et dit « c'est une torture ». « Cela […] paraît si naturel [en Inde].»[9]
 

Portant expérience simultanée des deux traditions, sa recherche de « l’accomplissement » a écartelé Le Saux jusqu’à la fin. Il se demandera s'il ne cède pas à un mirage, celui de l’advaïta. Sa foi sera singulièrement mise à l'épreuve. Il se demande si par fidélité à son intuition spirituelle il ne doit pas renoncer même au Christ. Pourtant, pendant tout ce temps, il restera fidèlement attaché à la célébration de l'Eucharistie et à son bréviaire. Dans son livre Gnanananda il dit ceci : « L'expérience du Soi est au-delà de toute possibilité de verbalisation. C'est une expérience de totalité qui atteint le fond de l'être […] qui jaillit du fond même de l'être […] qui est touché en sa source même »[10]. Dans son Initiation à la spiritualité des Upanishads, il parle de cette expérience comme celle du mystère pascal : « La descente aux abîmes où rien n'est plus vu, pas même soi ! Remontant alors des abîmes à la Lumière et se retrouvant "soi" : la Pâque ! ». Il continue : « Si le passage de l'expérience advaitine à l'expérience trinitaire de la foi chrétienne est […] mort et résurrection »[11], tout autant « le passage du chrétien par la nuit de l'expérience vedantine porte avec lui une grâce de purification. [C’est] une nuit de l'esprit pour le chrétien, et en lui pour l'Église[12]».

 
Il essaie d'indiquer le chemin, sachant que nuls mots ne sauraient rendre compte de l'expérience d’advaita : « Au fond de l'expérience de non-dualité, il n'y avait plus que l'expérience de plénitude indivise de l'Être, le JE, éternel, unique et absolu. En l'aurore pascale de la foi, c'est comme si ce JE résonnait triplement en soi-même. » […] Cependant pour l'âme qui […] se réveille du grand sommeil, ce n'est point comme au-dehors d'elle qu'elle l'entend […] C'est au-dedans même de cet aham, un et triple à la fois, qu'elle se réveille et qu'elle se recouvre. C'est en le TU, que le Père éternellement dit au Fils, qu'elle se retrouve en la Présence, au face-à-face unique, ainsi que l'Écriture le laisse entendre : « Le Seigneur m'a dit : Tu es mon fils, aujourd'hui, je t'ai engendré » (Ps 2 - Introït de Noël). « Je me réveille, et je suis toujours avec Toi » (Ps 138 - Introït de Pâques)[13].
 
Cette expérience de mort advaitique semble introduire l’homme dans la relation du Père et du Fils où l’Esprit Saint est l’acteur, le lieu, le sein de cette unité ou non-dualité entre ces deux personnes de la Trinité, et de manière similaire ou identique entre le Père et l’homme « éveillé » à son être filial, toujours-déjà-lié à Dieu, par la présence de même Esprit, qui est Dieu toujours-déjà-présent au fond du cœur de l’homme. L’Esprit est cette personne-espace où le Fils à la fois se livre entièrement au Père et où, en réponse à cet entier abandon, il est sans cesse engendré. Cette intuition fondamentale de l’expérience interreligieuse pascale n’est pas sans rappeler la théologie de François Xavier Durrwell et aussi cette affirmation à la fois forte et floue de la constitution apostolique Gaudium et Spes : « L’Esprit Saint offre à tous, d'une façon que Dieu connaît, la possibilité d'être associés au mystère pascal. » (GS 22,5)
 
Conclusion : L’accomplissement comme « croissance»
 
L’expérience d’Henri Le Saux et ses écrits restent des sujets de recherches, abordés à partir de plusieurs points de vue. C’est ainsi que semble poindre un commencement de recherche sur une théologie de l’Esprit Saint que nous pourrions dégager à partir de l’œuvre de ce moinehindou-chrétien.
 
Plus intéressant pour notre sujet une thèse récente de la canadienne Diana Bates, qui a examiné les dynamiques de la transformation spirituelle d’Henri Le Saux en le comparant à un processus de traduction. Bates pense que l’expérience de « métissage spirituel[14]» de Le Saux rappelle le concept de la Bildung, qui est centre de la culture allemande à la fin duXVIIIe s. Bildung est à comprendre comme « déploiement de l’être en vue de son accomplissement par une série de transformation et de contacts avec l’étranger »[15].
 
Cette référence à la Bildung apparait déjà dans la thèse sur le « Christ inconnu de l’hindouisme » soutenue par le théologien indien Raimon Panikkar en 1961 à l’Université du Latran. La référence à Panikkar est importante, car son travail constitue, en quelque sort le corrélatif théologique de l’expérience contemplative d’Abhishiktananda. Il accompagne celui- ci aux sources du Gange mais aussi dans ses réflexions sur la rencontre avec l'hindouisme. Touché par le dialogue intérieur du moine breton, Panikkar y puise l'inspiration pour mieux comprendre le rapport à l'altérité religieuse et développer le concept de dialogue intrareligieux, et sans doute, plus tard, celui du moine comme archétypeuniversel[16].
 
Panikkar pense que ni l'usage d'une tradition étrangère en vue d'enrichir notre tradition, ni l'interprétation d'une religion à la lumière d'une autre ne sont adéquats au contexte interreligieux de notre temps. C’est la croissance qui lui semble être la catégorie capable d'assumer la responsabilité majeure dans la rencontre des religions et dans le développement de la religion. Il part du concept du « développement du dogme », qu’il n’interprète pas dans le sens d’une ex-plication de quelque chose qui soit déjà là. Il pense que : « Si la conscience religieuse était statique, nous aurions seulement pour tâche de déplier ce qui a été […] enveloppé. Il existe cependant, […] un développement dans la conscience religieuse. Cette conscience religieuse est quelque chose de plus que le développement d'un organe connaissant qui, à un moment précis, découvre quelque chose dont il n'avait pas encore conscience. Et, dès lors que [cette] conscience constitue une part essentielle de la religion elle-même, le développement de cette conscience signifie le développement de la religion elle-même. »[17] Nous sommes-là dans  une conception proche du concept de développement dogmatique d’un J. A. Möhler ou d’un J. H. Newman.
 
Si pour lui c’est la catégorie « croissance » qui exprime le mieux ce processus de la rencontre entre les diverses traditions, c’est qu’il s’agit de plus que d'un simple développement. La croissance implique la continuité comme de la nouveauté, un développement aussi bien que l’assimilation de quelque chose d’extérieur qui est maintenant incorporé, pour constituer un seul corps. Cette croissance peut également impliquer une transformation et peut-être même la mutation. Nous ne pouvons pas savoir comment l'hindouisme devrait croître ou comment le christianisme doit se développer. La fonction du prophète, dit Panikkar, n'est pas de connaître par avance mais d'indiquer la direction. La croissance n’est pas en contradiction avec le processus de la mort et de la résurrection ; bien au contraire. « Que la metanoia constitue la première condition d'une croissance saine et d'une vie réelle, me semble être une vérité empirique »[18]. « Mais qu'en est-il de l'islam ou de l'hindouisme […] ? » pose Panikkar la question, et nous pourrions ajouter : et du judaïsme ? Le théologien indien renvoie à la réponse de Jésus à la question que lui posait Pierre : « Si c'est ma volonté qu'il attende jusqu'à ce que je revienne, qu'est-ce que cela peut te faire ? Toi, suis-moi.[19]»
 
Henri Le Saux en ses dernières années se résout à accepter de vivre lui-même une tension irréductible, au-delà des conciliations théoriques, dans cet être-au-monde que la réflexion de Panikkar met en évidence. Ainsi, note avec justesse Jacques Dupuis, « son expérience pose finalement plus de problèmes qu'elle n'en résout ». En voilà quelques-uns : la Trinité chrétienne, l'homme en dialogue avec Dieu résistent-ils à l’advaita ? L'histoire a-t-elle la consistance qu'on lui prête en christianisme ?
 
Qu'advient-il de l'événement Jésus-Christ, considéré comme engagement total de Dieu dans l'histoire humaine ? C’est la valeur des représentations chrétiennes traditionnelles de Dieu, du monde et de l'homme qui est en question ici. Le bénédictin devenu sannyasi n'a pas su dépasser théologiquement ces antinomies ; en faire la synthèse n'était pas sa vocation et il en laissa la responsabilité à d'autres. Son seul effort resta d'essayer de « tourner les âmes vers le dedans, là où toute question est dépassée ». Il écrit: « De moins en moins je pense que l'heure soit venue pour découvrir les concepts qui permettent un échange d'expérience entre Orient et Occident [...] l'heure est simplement de se laisser envahir par les deux expériences […] et d'assurer les fondations du dialogue intellectuel ultérieur ... En Occident on peut partir de l'opposition Dieu/homme ; ici l'expérience du Soi, est tellement pleine de ce mystère en Dieu, qu'il est impossible de projeter Dieu devant soi, ni pour en parler, ni pour lui parler. Et pourtant, l'expérience prophétique du face à face est vraie aussi, les deux furent vécues par Jésus. […] Le problème essentiel entre Orient/Occident me semble celui du concept-eidos, et de l'intuition existentielle. Ce qu'il nous faut ce sont des contemplatifs chrétiens qui acceptent de passer par là. Eux seuls pourront aider nos théologiens, qui découvriront de plus en plus le problème ci-dessus, mais sous son aspect intellectuel. A l'Esprit de souffler - et à l'homme de se laisser emporter».[20]
 
Notes
 
[1] L'advaita signifie « non-dualité ». C’est une des doctrines majeures de la philosophie indienne, et la forme la plus répandue de la philosophie dite Vedanta, aboutissement du Savoir par excellence. Les advaitavadin professent la doctrine selon laquelle il n'existe en vérité absolue qu'un seul Être, infini et éternel, sur la réalité foncière duquel reposent toutes les réalités manifestées dans l'univers. Cet Être s'appelle Brahman ou Paramatman, « soi-même suprême ». Le soi-même (atman) de l'homme, c'est-à-dire sa réalité essentielle n'est autre que le Paramatman. Par la connaissance (jñana), l'homme découvre que son substrat permanent d'existence est l'Être universel unique et obtient ladélivrance.
 
[2] Henri LE SAUX, La rencontre de l’hindouisme et du christianisme, Paris, Seuil, 1966, p. 19-20
 
[3] Ibid., p. 30
 
[4] Cf. Jacques DUPUIS, Jésus Christ à la rencontre des religions, Paris, Desclée, 163-165
 
[5] Henri LE SAUX, Une messe aux sources du Gange, Paris, Seuil, 1966, p. 83
 
[6] Cf. LE SAUX, La rencontre, p. 225
 
[7] LE SAUX, La rencontre, p. 224
 
[8] Henri LE SAUX, Initiation à la Spiritualité des Upanishads, p.., 102-104, 113,
 
[9] André GOZIER, Le Père Henri Le Saux, à la rencontre de l’hindouisme, Paris, Centurion, 1989, p. 134
 
[10]Ibid., p. 135
 
[11]Cité in. GOZIER, p. 135
 
[12] Cf. Henri LE SAUX, Les yeux de la Lumière, Paris, O.E.I.L., 1979, p. 99-100
 
[13] Ibid., p. 136
 
[14] Diana BATES, Les dynamiques de la transformation spirituelle d’Henri Le Saux comme traduction, disponible sur : http://www.ruor.uottawa.ca/handle/10393/24166
 
[15] Michel BALLARD, De Cicéron à Benjamin ; traducteurs, traductions, réflexions, Lille, Presse Universitaires de Septentrion, 2007, p. 233
 
[16] Raimon PANIKKAR, Le dialogue intrareligieux, Paris, Aubier, 1992, p. 132
 
[17] Ibid., p. 133
 
[18]Cf. Ibid., p. 136
 
[19]Ibid., p. 137
 
[20] Cf. Jacques DUPUIS, Jésus Christ à la rencontre, p. 98-99
 
 
 
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