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VOLUME XI:2
July - December 2021 L’EXPÉRIENCE DE DIEU DANS L’ŒUVRE DE PANIKKAR
Éléments épistémologiques pour une approche contemporaine du divin
Précis Abstract Dans notre monde sécularisé, en perte de transcendance, Dieu perd de son sens, même si par ailleurs, il est vrai, la spiritualité rencontre un intérêt certain. Le mouvement croissant spiritual but not religious[1] défend la possibilité de faire l’expérience du Sacré[2] en dehors de toute structure religieuse. Dans le contexte d’une spiritualité laïque qui n’a plus besoin de Dieu pour envisager une vie en plénitude, tel que soutenu par André Comte-Sponville[3], parler d’expérience de Dieu peut paraître décalé et dissonant. Il s’agit néanmoins d’une question intéressante du point de vue théologique sur laquelle nous voudrions nous arrêter en interrogeant Raimon Panikkar, à travers ses écrits, sur sa façon de réconcilier l’esprit du temps avec le cœur de l’Évangile.
Le choix porté sur le théologien catalan repose notamment sur le fait que pour lui aussi l’« expérience de Dieu » est une expression discordante ; il débute son livre du même titre, non sans humour, en précisant qu’il s’agit là d’une impossibilité. On ne peut faire l’expérience de Dieu[4]. Or, l’affirmer ne consiste pas ici à confirmer une posture positiviste ou à disqualifier l’approche chrétienne du divin, bien qu’il reconnaisse volontiers le problème que pose aujourd’hui la notion de « Dieu », sans toutefois vouloir s’en passer trop vite, faute de mieux[5]. Il s’agit plutôt de ressaisir la portée symbolique de cette notion pour en extraire la puissance de vie dans un langage adapté à notre époque. L’expérience dont il est alors question est toujours d’actualité, plus encore la condition pour envisager un monde nouveau, en réponse à la crise généralisée actuelle, à condition cependant d’en mesurer les enjeux et les implications.
C’est ce que nous nous employons à montrer dans cette étude en proposant quelques clés de compréhension de la pensée de Panikkar. Nous en retenons trois. D’abord, sa vision de l’expérience de Dieu s’inscrit inévitablement dans un discours toujours relatif ; ensuite, ce discours a sa raison d’être dans l’ouverture à cette même expérience, comprise non pour elle-même mais pour une vie en plénitude au-delà de toute expérience ; enfin, l’espace propice à cette fin salutaire est préservé dans l’effort de réconcilier les dualismes, évitant ainsi de céder à toute forme d’extrémisme.
L’expérience de Dieu relève du discours
Panikkar aborde l’expérience de Dieu non pas d’abord en tant que sage, artiste ou gourou, bien que pour certaines personnes il peut être connu sous l’une ou l’autre de ces formes, mais comme théologien et philosophe, à partir des codes épistémologiques propres à ces disciplines. Ce faisant, il rappelle que cette expérience s’inscrit toujours dans un discours et qu’ainsi seulement elle acquiert son intelligibilité. Certes, l’expérience religieuse se vit au-delà des mots, dans le silence du cœur, mais dès lors qu’il faut en parler, la communiquer ou ne serait-ce qu’en prendre conscience et la nommer, cela l’inscrit d’emblée dans un processus herméneutique duquel elle ne peut être séparée. Or, si l’expérience se conçoit par la raison, dans le discours, cela n’est pas sans renseigner sur la nature même de ce dernier. Traiter de l’expérience de Dieu ne consiste pas tant à parler de Dieu que de s’intéresser à la manière d’en rendre compte. En d’autres termes, si de Dieu on ne peut rien dire, il est possible en revanche de situer« le lieu où le discours au sujet de Dieu pourrait avoir un sens et se révéler fécond, pour vivre une vie plus pleine et plus libre.[6] »
La matrice principale où le divin se dit est l’humain. « L’homme est plus qu’un homme, mais pendant qu’il est homme, il doit, non seulement jouer le jeu humain, mais il ne peut pas fuir sa condition humaine[7] ». Il n’y a pas d’accès à Dieu en dehors de notre finitude. Aussi, pour Panikkar, le nom de Dieu est-il le symbole, non pas d’un au-delà sans commune mesure avec la réalité matérielle, mais qui met à jour la contingence et qui, ce faisant, à l’inverse du caractère fanatique de la religion largement véhiculé dans la société, « rend ainsi impossible tout totalitarisme de quelque type que ce soit.[8] » Ce symbole renvoie alors à l’humilité et non à l’arrogance, à la vulnérabilité et non au triomphalisme. Cela étant, il ne s’agit pas ici de réduire Dieu à une dimension de la psyché humaine, aussi profonde soit-elle. Bien au contraire, Panikkar parle d’altérité et de transcendance pour bien faire valoir qu’il n’y a aucune commune mesure entre le divin et l’humain, et que la voie de l’union à Dieu repose sur le dépassement de soi et non sur la mise à profit de nos propres forces.
Néanmoins, il récuse l’idée d’une « transcendance pure », sans rapport aucun avec la dimension psychocorporelle. D’où le renvoi nécessaire à l’immanence. On touche là un paradoxe impossible à éviter, où le fini et l’infini s’appellent l’un l’autre, deux réalités qu’il importe de maintenir ensemble pour avoir une idée juste de ce qu’implique l’expérience de Dieu, pour ne pas la réduire à une connaissance des réalités célestes[9], car elle est au-delà de toute expérience, même des extases les plus sublimes. Elle n’est pas une expérience spéciale, mais « la racine de toute expérience. […] Elle est l’expérience sous-jacente à toute expérience humaine : douleur, beauté, plaisir, bonté, angoisse, froid…[10] » Panikkar en rend compte en parlant de l’expérience de Dieu comme d’un génitif subjectif et non d’un génitif objectif : « ce n'est pas mon expérience sur Dieu, mais l’expérience de Dieu, en moi et à travers moi, dont je suis conscient. Le sens du génitif subjectif fait référence à l’expérience même de Dieu qui, autant qu’il me la confère et que j’y participe, est ce qui constitue le noyau le profond de mon être. L’expérience de Dieu n’est pas mon expérience de lui et dont je ne serais pas conscient.[11] »
En d’autres mots, on ne fait pas l’expérience de Dieu comme on fait l’expérience d’un objet, ce que Dieu n’est pas, ni de foi ni d’expérience[12] ; ici ce n’est pas soi-même qui fait l’expérience de Dieu, mais ce dernier qui « fait » l’expérience de lui-même à travers soi. Dans ce contexte, selon Panikkar, « [j]e comprends ma participation à cette expérience comme une communion, une communion entre Dieu, qui est le sujet, et cette expérience de Dieu qui est mienne dans la mesure où j’en prends conscience.[13] » Certes, il y a là une subtilité de langage non pour le plaisir de complexifier ce qui relève de la simplicité, puisque nous sommes agis plus que nous agissons, mais pour tenter de la préserver et d’y renvoyer autant qu’il est possible au moyen de concepts. C’est une façon de dire que notre « expérience de Dieu est la conscience de soi divine à laquelle nous participons […]. C’est cela la divinisation.[14] »
Le rapport étroit entre immanence et transcendance est illustré aussi par la distinction entre la Vie et la vie, lesquelles, à tort, sont souvent identifiées. La Vie ne peut être circonscrite, elle nous échappe et pourtant sans elle rien n’existe ; elle est notre source, le Silence, le Non-Etre, Dieu[15], et nous commande d’être, en tout simplicité, de l’accueillir avec la spontanéité qui la caractérise. Or, sous la pression de nos penchants, ce que les Pères du désert appellent logismoi, nous « instrumentalisons notre Vie en oubliant qu’elle est une fin en soi. Plongés dans les activités de la vie, nous perdons la faculté d’écouter et nous nous aliénons de notre source même […].[16] » La Vie et la vie dans toutes ses formes ne sont pas opposées ; au contraire, la dernière est vécue en plénitude quand elle repose dans la conscience – et non dans la nostalgie[17] – de la première. Un parallèle intéressant est ici à faire avec les quatre états de l’Etre décrits dans l’hindouisme, la veille, le rêve, le sommeil profond et 1'état au-delà de tout état (turiya)[18], lequel, en investissant les trois premiers, permet au yogi d’être un libéré vivant (jivanmukti), témoin par excellence du rapport incarné entre transcendance et immanence, de cette vérité si chère à Panikkar, dont l’expression chrétienne est « incarnation »[19], à savoir que nous touchons l’infini dans la contingence : « Que dise adieu à la vie éternelle celui qui ne la vit pas ici-bas »[20].
La Vie n’a pas besoin de médiation pour être vécue. Si elle se dévoile dans une existence nue possible grâce à la pureté de cœur, celle-ci en revanche relève d’une connaissance de soi, d’un travail sur soi, d’une prise de conscience des dynamismes intérieurs qui concourent ou font obstacle à la nécessité de transparence. Faire l’expérience de Dieu implique ainsi toutes les dimensions de l’être humain, incluant sa faculté de conceptualiser, de saisir les choses intellectuellement. « Sans amour et sans connaissance, sans corporalité et sans temporalité, précise Panikkar, cette expérience n’est pas possible.[21] » Cela renseigne sur un autre point important, à savoir que si l’expérience est cruciale pour une vie en Dieu et pour en comprendre la nature, elle ne suffit pas ; il importe également de connaître la manière dont cette expérience advient, ainsi que les mécanismes qui lui sont inhérents et qui permettent d’appréhender la réalité divine. Faire l’expérience de Dieu met en œuvre plusieurs éléments d’un processus herméneutique qu’il faut identifier, afin de ne pas se fourvoyer dans sa prétention à dire Dieu, pour ne pas confondre ce dernier avec l’expérience que nous en avons.
Panikkar rend compte du caractère médiatisé de l’expérience de Dieu à l’aide d’une formule, E=e.m.i.r.[22], qui, dans la forme, n’est pas sans évoquer celle de la relativité d’Einstein, et qu’il complète en y ajoutant deux autres variables, E=e.l.m.i.r.a.[23] L’expérience religieuse (E) équivaut à une expérience mystique vécue de manière soudaine ; elle est personnelle, donnée, pure, indicible et non répétable (e), une expérience qui, une fois faite, n’a d’autre choix que de se dire dans une langue particulière (l), selon des mots qui ne donnent pas seulement un sens aux choses mais véhiculent aussi une vision du monde, une façon particulière d’appréhender ces choses. Cela nécessite avant tout de s’en rappeler, de faire un effort de mémoire (m) ; on se la remémore à partir d’un ensemble de concepts et de symboles propres à un imaginaire (i) donné, de ce qu’on imagine être la réalité ainsi expérimentée, de sorte que cette expérience alors interprétée (i) est reçue (r) dans une culture et appelle une action, à être actualisée (a) dans des comportements qui lui sont conformes.
Qu’est-ce que cette formule nous dit de l’expérience de Dieu ? Retenons quatre points. Premièrement, nous n’y avons jamais accès ; bien sûr, il est possible de la vivre comme une expérience immédiate, c’est-à-dire dans une certaine inconscience, mieux dans une conscience qui n’est pas une conscience de. C’est l’expérience mystique ou contemplative qu’aucun mot ne saurait épuiser ; dès lors que je tente de la formuler, elle m’échappe. La raison est impuissante dans sa tentative de la circonscrire. D’où le renvoi à l’expression oxymorique, reprise de Jean de la Croix, de docte ignorance, et bien avant lui des pères du désert : « […] on ne peut savoir de Dieu qu’une chose : qu’on ne peut le connaître. ‘Bien heureux celui qui est parvenu à l’ignorance infinie’, dit ce grand génie du monde chrétien que fut Évagre le Pontique.[24] » La conscience intellectuelle ou duelle n’accède qu’à l’expérience médiatisée (E), par le biais du discours, de la parole, du logos.
Deuxièmement, cela implique que le discours théologique est toujours métaphorique ne renvoyant qu’imparfaitement à son objet, un discours opposé à toute absolutisation, c’est-à-dire à toute prétention de posséder et de dire clairement l’objet en question – comme dans la formule d’Einstein, bien que de manière analogique seulement, il est ici également question de relativité, et non de relativisme[25], nous y reviendrons. Le symbole, inhérent à la métaphore, est toujours contextualisé, il « ne prétend être ni universel ni objectif. Il est concret et immédiat, c’est-à-dire sans intermédiaire entre le sujet et l’objet. Le symbole est à la fois objectif et subjectif ; il est constitutivement relation. Le symbole symbolise donc, établit une relation avec ce qui est symbolisé en lui et non pas autre ‘chose’.[26]» Défendre le contraire, en faire un élément universel, peut servir l’idée d’une religion universelle, hors sol, aux accents totalitaires, en proie à l’idolâtrie[27]. Le symbole ne dirige pas l’attention à l’extérieur de lui-même vers un objet appréhendé tel quel, quel que soit le point de vue ; c’est lui plutôt qui est à contempler[28], ce qui exige la participation de celui qui contemple ; l’acte de contempler pousse à l’intériorisation du symbole, à la transformation de soi par l’accueil de la réalité évoquée par ce dernier. En d’autres termes, chacun est appelé à en puiser le sens profond par et pour lui-même. Cela nous aide à saisir l’idée que « Dieu est un grand symbole intraduisible et, pour un grand nombre de gens sans doute, irremplaçable »[29] et partant que si « le langage n’était qu’un instrument pour désigner des objets ou transmettre une simple information, un discours sur Dieu ne serait pas possible.[30] »
Troisièmement, puisque nous pensons l’expérience de Dieu de façon limitée et jamais dans sa totalité, une prise en compte des points de vue différents nous permet d’en enrichir notre compréhension. Par le fait de relativiser notre idée de Dieu, évitant ainsi d’en faire un absolu, la formule de Panikkar nous invite à engager un dialogue avec d’autres conceptions du divin pour une compréhension et un enrichissement mutuels. Le philosophe de Tavertet illustre cette perspective par l’image de la fenêtre[31] : « we may realize that, like the partner in dialogue, we, too, experience reality through a particular ‘window’ whose shape and glass correspond to our specific conditioning. We futher may recognize that both of us see ‘the panorama,’ the whole as the other sees it. […] Each believes that the whole is experienced through one’s own window (totum per partem) but resists agreeing that this is possible through the other’s–a resistance that multireligious experience and interreligious dialogue may weaken.[32] » Si chacun voit la totalité à travers sa propre fenêtre, il est alors inutile de chercher un dénominateur commun entre les différents points de vue ni de vouloir comparer ou hiérarchiser ces derniers[33]. En revanche, il est possible d’accueillir en soi, en y restant loyal, deux visions du monde dialectiquement opposées ; c’est ce que fit Le Saux et ce pour quoi Panikkar lui est reconnaissant.[34] La difficulté réside ici dans le maintien de la tension entre les deux points de vue qui, dans l’expérience de la rencontre, s’apparente à une ascèse faisant du dialogue un acte spirituel en soi, l’espace où le divin se révèle au-delà des mots. La fonction du discours théologique est alors de préserver cette tension pour en faire un lieu de transformation spirituelle, tension sans laquelle le dialogue court le risque de devenir un monologue au service d’une perspective relativiste ou d’une religion unique, qui dans les deux cas repose sur un discours absolutisé.
Quatrièmement, le discours sur Dieu est stérile, sans véritable ancrage, s’il ne repose pas sur l’expérience (e). Il est rationnel certes, comme l’est tout discours adoptant une méthode scientifique, mais il n’est pas rationaliste, purement conceptuel, détachée de l’expérience et de la foi. « Tout discours, écrit Panikkar, toute théologie d’où cette expérience est absente n’est rien d’autre que verbiage, simple répétition de ce que l’on nous a dit, de ce que nous avons mémorisé, de ce que nous ne savons pas par nous-mêmes.[35] » Notre compréhension de Dieu est proportionnelle à l’expérience que nous pouvons en avoir : « ‘Tout ce qui est reçu l’est selon le mode de celui qui reçoit’. […] La révélation est dans celui qui la reçoit. Le problème est dans le récepteur.[36] » Aussi dire quelque chose de significatif sur l’expérience de Dieu nécessite-il de s’engager personnellement, existentiellement et pas seulement intellectuellement, et ce non pas de façon mitigée mais dans une radicalité telle qu’il nous faut parvenir à être Dieu, l’unique manière de le connaître[37]. Or, la clé pour y arriver réside, toujours selon Panikkar, dans l’action de vivre le silence des sens et de l’esprit qui seul conduit à la pureté de cœur, condition pour parler de Dieu[38].
L’expérience de Dieu et son intentionnalité sotériologique
Si, donc, le discours sur Dieu est toujours relatif, témoignant ainsi de son impuissance à décrire comme tel son objet, paradoxalement en celle-ci réside sa force ; en effet, en elle le mystère propre à Dieu est préservé. Elle manifeste un espace vierge qui permet au discours de renvoyer à l’au-delà de lui-même, à l’expérience divine qui en est la raison d’être. La théologie est donc par nature à la foi existentielle et spirituelle ne se cantonnant aucunement à un exercice intellectuel fermé sur lui-même. Panikkar le constate chez son ami bénédictin, dont les réflexions portent un message provenant du tréfonds, du je dépouillé de l’ego, et qui, s’il n’est reconnu comme tel, invite à marcher avec l’auteur à la recherche du Graal sans céder à la tentation de détacher ses propos de l’essentiel : « J’ai toujours peur – écrivait-il [Le Saux] de son lit à Indore, un mois et demi avant sa mort (le 20 octobre 1973), à son disciple Marc – qu’on s’arrête en mon message à son aspect ‘négatif’ (no institution, etc.) alors que toutes négations-libération n’ont de sens que dans cette pensée jusqu’au fond du JE.[39] »
La théologie de Panikkar obéit à la même logique, à la différence peut-être avec celle du moine français, nous le verrons dans le dernier point, qu’elle s’efforce de prévenir toute interprétation extrême qui trahirait son intention première d’accéder à une posture équilibrée et harmonieuse. Par ailleurs, si la valeur de l’acte théologique est conditionnelle à l’expérience qu’on a des réalités divines, cette dernière ne se réduit pas à des expériences intérieures, des états d’âmes, aussi importants soient-ils, mais renvoie plus fondamentalement à une expérience de salut. Aussi pour Panikkar le but du theologoumen ne se limite pas à rendre intelligible l’expérience de Dieu, c’est aussi nous inciter à la vivre, à en faire le principe premier de sa vie allant dans le sens d’une libération.
L’acte théologique s’inscrit par sa nature propre dans une exigence de liberté individuelle et collective. S’il n’en est pas ainsi, une critique s’impose pour que l’intention sotériologique du discours prévale à nouveau. Bien des réflexions de Le Saux sont à comprendre en ce sens. Sa rencontre avec la tradition hindoue lui a d’ailleurs facilité la tâche ; il y a trouvé l’occasion d’identifier les éléments qui dans sa tradition peuvent entraver l’accès au divin ici et maintenant : « Le mythos du Purusha est plus extensif que celui de Christos ; non seulement il englobe l’aspect cosmique et métacosmique du mystère, mais il se libère de l’attache au temps que comporte le mythos du Christ. Plutôt il reconnaît toute la valeur symbolique contenue au mystère du Temps, mais refuse de condenser l’absolu à part dans un point particulier du temps.[40] »
Panikkar s’inscrit dans une dynamique similaire quand il traduit en termes chrétiens la formule fameuse, « Si tu vois le Bouddha, tue-le! » : « If you see Christ, eat him![41] » Il lui importe de libérer Dieu par amour de Dieu et de se libérer des éléments religieux qui aliènent l’humain ; aussi, comme le rapporte très justement Nicolau-Coll, « tout acte de libération doit être considéré comme un acte profondément religieux.[42] » C’est la raison pour laquelle le théologien catalan rend compte de l’expérience de Dieu non pour elle-même, mais à la lumière du contexte où elle se vit et se conçoit de manière à en dégager la direction vers une vie de plénitude, en l’occurrence pour appréhender le passage à même l’impasse propre à la société actuelle en crise. Il envisage la théologie dans une perspective sotériologique, à la fois personnelle, ce qui implique de se connaître soi-même, dans toutes ses dimensions – nous l’avons évoqué, il n’y a pas de salut en dehors de la condition humaine –, et collective, ce qui exige de connaître le contexte social et ses éléments de crise.
Panikkar élabore sa réflexion théologique en lien avec la crise actuelle, tentant d’en offrir une réponse pour la surmonter. Sa pensée est en cela précieuse ; elle encourage une démythologisation du discours sur Dieu, du moins la reconnaissance de la déchristianisation des sociétés occidentales et de la fin du mythe moderne, autant qu’elle propose un langage nouveau et adapté à l’esprit du temps. Elle promeut une vision globale du monde sans être globaliste, défend une perspective dialogique respectueux des différences sans être impérialiste sous couvert d’un égalitarisme s’efforçant de les abolir. Elle repose sur une expertise non seulement de la pensée occidentale, mais aussi des philosophies indiennes ; le souci de tenir compte du contexte asiatique, à partir des points de vue bouddhiques et hindous, a l’avantage de situer le discours théologique dans un monde, dont l’axe géopolitique, économique et culturel se déplace inexorablement vers l’Orient. Enfin, elle offre une critique de notre société sur le déclin, pertinente aujourd’hui plus que jamais, et présente l’expérience de Dieu comme faisant partie de la solution – elle en est même la clé principale.
C’est en effet la perte du sens mystique, ou de l’esprit contemplatif, qui en grande mesure ouvre le monde sur le chaos, et c’est donc le fait de le retrouver qui contribuera à y mettre fin. Là encore, Panikkar puise chez son ami breton l’inspiration ; il le voit comme le « symbole d’une vie vécue en profondeur au sein d’un monde déchiré,[43] » un « symbole de survie spirituelle » comme l’a été le Christ[44]. Pour Le Saux, le christianisme, l’hindouisme et le monde aussi ont besoin d’une conversion (metanoia) radicale[45]. Le théologien catalan va dans le même sens et confirme que « [s]eule la mystique peut, éventuellement, favoriser ce changement radical, impératif denotre époque.[46] » Cette affirmation se retrouve en de nombreux passages, notamment dans Mystique et plénitude de vie, sachant que « mystique » et « contemplatif » sont ici synonymes[47] et que ces derniers coïncident avec la dimension monastique, évoquée plus haut et comprise comme un archétype universel présent au cœur de chacun, bien qu’oublié le plus souvent[48]. Si le sens mystique, ou l’esprit contemplatif, libère l’humain autant du point de vue personnel[49] que social[50], il serait toutefois malvenu d’en faire le remède à tous les maux[51]. Il demeure néanmoins une base essentielle, un pas dans la bonne direction, en plus d’être une parade au découragement quand la situation semble désespérée[52]. Son rôle est crucial car il octroie la liberté nécessaire pour ne pas être esclave du monde qui s’impose à soi et donc de ne pas céder à la peur d’agir à contre-courant au risque de perdre sa réputation et même sa vie[53]. Cette liberté est la caractéristique d’un « esprit libre », qualificatif que Panikkar utilise pour lui-même[54], et permet au contemplatif d’anticiper « une ère nouvelle, en réalisant dans son être intérieur ce qui pourra un jour avoir des répercussions historiques.[55] »
Or, ce rôle est d’autant plus crucial que la crise à laquelle fait référence Panikkar n’est pas une crise parmi d’autres ; il la qualifie comme étant La crise en ce qu’elle peut être fatale pour l’humanité. Aussi, parler de Dieu ne va pas sans comprendre le caractère perverti du monde où Il se manifeste et se nomme. Les raisons de la crise exposées dans son œuvre renvoient à un ensemble de forces de division qui promeut la civilisation technocratique et la superficialité de la vie dite moderne, avec comme conséquence l’appauvrissement des sociétés et des cultures, soumises à un processus d’uniformisation causant la perte de la diversité et de l’altérité à maints égards. À l’inverse, le sens mystique est puissance de réconciliation en opposition à ces forces, dont l’origine est avant tout anthropologique ; si ces dernières font rage tous azimuts, c’est précisément parce que l’humain est intérieurement divisé, coupé de sa source. Cela se manifeste de bien des façons et principalement dans la séparation entre la connaissance et l’amour[56]. L’un ne va pas sans l’autre. La connaissance exige la connaturalité avec le connu ; il s’agit donc d’une connaissance expérientielle. Panikkar rappelle que l’adjectif « expérientiel », pour Thomas d’Aquin, désigne la connaissance amoureuse, le connu étant ici le Dieu chrétien qui est Amour[57].
Or, le drame actuel réside dans une philosophie et dans un monothéisme qui ont perdu le sens mystique, devenus simple opus rationis, incapable de guider l’humain dans ses activités quotidiennes[58]. Séparé de la présence amoureuse de Dieu, ce dernier perd contact avec le présent pour faire du seul futur l’axe de son devenir : « L’homme occidental contemporain, privé du support culturel et religieux traditionnel, a l’impression de vivre dans univers aliéné et aliénant, dont le centre n’est plus un Dieu-chef purement transcendant, ou le cosmos, ou éventuellement lui-même. Etant privé d’un point focal spatial, il tente de placer ce centre dans le futur, qui est devenu pour beaucoup le symbole moderne de la transcendance.[59] » Et d’ajouter : « La sotériologie est devenue eschatologie, aussi bien sacrée que profane.[60] » Par ailleurs, cette fascination pour le future s’accompagne d’une obsession pour la certitude ; notre stabilité psychologique et matérielle, de laquelle dépend faussement notre bonheur, repose sur l’assurance que les choses se produiront comme nous le souhaitons, une obsession qui en appelle une autre, celle de la sécurité[61]. Celle-ci compense le manque d’une vie en plénitude, accessible ici et maintenant et non dans un ailleurs hypothétique, et conduit à céder aux règnes de la quantité, de la compétitivité et de l’argent[62].
Dans un monde où les réductionnismes sont multiples – la nature est réduite à des lois physico-mathématiques, l’humain est réduit à un ensemble de nécessités à satisfaire, le développement des personnes est réduit à faire quelque chose, caractéristique de l’activisme ambiant, les choses et le vivant sont réduits à une valeur marchande –, sans l’expérience mystique, l’être humain n’a aucune raison de « ne pas chercher à éliminer celui qui, croit-il, l'empêche d'atteindre son bonheur, son développement ou sa réalisation[63] » ou bien « d'écouter d'abord le silence en soi, puis chez les autres, pour accueillir toutes choses et les laisser devenir chair en nous pour pouvoir ensuite donner vie à ce qui a été conçu.[64] » La profondeur à la fois relationnelle et intérieure du contemplatif contraste avec un langage de plus en plus superficiel et formaté, véhiculé et encouragé par les mass médias et dans les réseaux sociaux, en rupture avec les traditions millénaires de l’humanité, un phénomène justifié selon Panikkar par le mythe du progrès linéaire de l’histoire humaine[65]. Or, ce mythe, estime le théologien, est en train de s’effondrer[66], donnant ainsi toutes ses chances à l’esprit contemplatif de reprendre ses droits au service d’une humanité renouvelée.
L’expérience de Dieu ou l’art de réconcilier les opposés
Le discours théologique rend compte de l’expérience de Dieu de manière à ce qu’on la fasse sienne en vue de son salut, et ce, dans une reconnaissance et un dépassement des divisions et des dualismes en œuvre en soi et dans le monde. De là, parler de Dieu, selon Panikkar, c’est aborder le sens mystique, ou l’esprit contemplatif, non seulement comme promesse de salut, mais également comme la voie pour y accéder, en l’occurrence comme antidote aux forces d’aliénation. L’esprit contemplatif est la capacité qui nous est donnée de vivre dans la présence divine en toute conscience et liberté. Il relève d’une vie unifiée ou en voie d’unification, caractéristique selon le théologien catalan de la vie de Le Saux et sans doute de la sienne propre par effet de résonnance : « Depuis ta prime jeunesse, écrit-il à son ami breton décédé depuis 32 ans, tu n’as eu qu’un seul but : être ekāgratā, comme nous disons en Inde, ou ‘centré en un point’, comme certains l’exprimeraient. L’Inde était juste un symbole. L’atman t’appelait de l’intérieur.[67] »
Vue sous cet angle, la crise actuelle de la société est aussi de nature spirituelle dans la mesure où la dispersion de l’esprit humain sous l’effet de ses contradictions diverses, et rencontrée dans tout cheminement spirituelle, appelle l’inévitable combat intérieur pour accéder à l’état de non dispersion, à ce que Panikkar considère comme essentiel pour vivre en harmonie autant que pour parler de Dieu, à savoir la pureté de cœur[68]. L’esprit contemplatif coïncide alors avec la réconciliation des opposés, cherchant à transformer les contradictions en paradoxes, caractéristiques du langage mystique. De l’œuvre de Panikkar, nous dégageons trois éléments qui rendent possible cette réconciliation, des éléments imbriqués les uns dans les autres, chacun opérant sur une dimension particulière de l’expérience religieuse, ayant un rôle spécifique dans le processus d’unification.
Le premier élément se rapporte à l’expérience de la non dualité (advaita) comme lieu de dépassement des opposés, en référence au pôle transcendant de l’expérience religieuse. Il prend racine dans le désir inné d’auto-transcendance et de plénitude présent chez chacun[69]. Ce désir est à l’origine des ambitions sociales, des diverses entreprises menées pour satisfaire l’image qu’on se fait de soi-même, dont aucune cependant se saurait en bout ligne apporter la félicité espérée. L’accès à la plénitude n’est possible que dans le cas où le désir en question renvoie à l’amour divin, lui donne toute la place, en fait le centre unique d’attention. Cet amour est l’espace où l’humain s’engage dans un dépassement de soi, au-delà du rapport sujet-objet. La non-dualité n’est pas d’abord une idée, mais le vocable pour désigner l’expérience au-delà d’un sujet, soi-même, faisant l’expérience d’un objet extérieur à soi, Dieu. Le Saux définit l’advaita comme « le rappel exigeant que Dieu – et donc rien non plus de ce qu’il a fait – ne peut jamais entrer totalement dans nos concepts[70].» Il en est ainsi non pas selon un exercice de logique déductive, mais à la lumière d’une oraison de simplicité où s’impose le silence du cœur, espace d’une communion indicible[71]. L’humain et le divin ne peuvent subsister en même temps ; « s’il y a Dieu, je ne suis pas, déclare Le Saux, s’il y a moi comment Dieu pourrait-il être ? » Saint Paul rend compte de cette vérité en ces mots fameux : « ce n’est pas moi qui vis mais le Christ qui vit en moi.[72] »
L’apôtre renvoie ainsi à l’expérience connue des mystiques, mais peu comprise, voire suspecte pour les autres ; d’aucuns y voient un rapport hypnotique et confus au Réel ou la perte de soi aliénante dans un grand tout informe. Il s’agit au contraire de l’expérience au-delà de toute expérience où l’on devient pleinement humain. Là est le paradoxe ; c’est en se donnant à Dieu, en renonçant à soi-même, qu’on accède à son humanité. En d’autres termes, l’ « être humain n’est pleinement humain qu’à partir du moment où il fait l’expérience de son ultime fondement, de ce qu’il est réellement.[73] » Le moine en est le symbole ; il est celui, en référence à Le Saux, « dont l’idéal est acosmique : sans naissance, ni lieu, ni fin, ni rien.[74] » Panikkar rappelle qu’« à la fin de sa vie [celle de Le Saux], ‘son’ identité n’est plus la ‘sienne’. C’est l’identité tout court.[75] » Il qualifie cette dernière d’ « identité identique[76] », laquelle ne renvoie pas à un état statique, fait d’inconscience inerte, coupé de toute relation, mais à une dynamique de foi où l’humain se laisse emporter et transformer en toute liberté par l’Esprit Saint[77]. On retrouve ici l’expérience de Dieu interprétée dans le sens d’un génitif subjectif évoquée plus haut. En outre, l’idée claire de Dieu et la prétention à anticiper ses voies font place à la reconnaissance de son Mystère et la capacité de se laisser surprendre par sa présence[78], car en définitive « [c]’est la vérité qui nous cherche.[79] » Aussi la vision non dualiste est-elle proprement chrétienne[80], écartant du même coup les visions dualiste et moniste : « la divinité n’est pas individuellement séparée du reste de la réalité, ni ne lui est totalement identique.[81] » Elle définit le Dieu trinitaire, ni un ni multiple[82], à la fois transcendant et immanent[83], au-delà de l’Être[84] et interconnexion radicale, où les opposés sont réconciliés dans le grand jeu de Dieu (līlā)[85].
En référence à la dimension immanente de l’expérience religieuse, le second élément renvoie à l’expérience intégrale ou cosmothéandrique – où l’idée de relation prend toute son importance –, comme lieu d’union des divers aspects du vivant. Depuis son expérience de l’Inde, Panikkar entretient la vision que « tout est en lien avec tout, dans une sorte ‘d’harmonie invisible’[86] », vision qui n’est pas étrangère à l’expérience de la non dualité au cœur de la vie de son ami et à laquelle il accorde lui-même un rôle central dans son œuvre, notamment dans son interprétation de la Trinité. L’advaita est le « lieu » où Le Saux dépasse les opposés, en l’occurrence les mythes chrétien et hindou, et Panikkar harmonise les dualités[87] ; cela correspond à la conscience divine par laquelle tout prend forme et existe. C’est pourquoi le mystique voit toute chose en Dieu de même qu’il voit Dieu en toute chose[88].
De là, le théologien de Tavertet s’oppose au dualisme anthropologique qui marque une rupture entre l’esprit et le corps dans le rapport à Dieu. D’où l’importance de l’esprit contemplatif qui à l’inverse envisage l’expérience religieuse en incluant toutes les dimensions humaines. Le néologisme « cosmothéandrisme », qui en rend compte, a son origine dans la préface écrite par Panikkar pour l’édition en espagnol du livre de Jean Guitton, La Vierge Marie[89], où il propose d’unir Marie qui, dans sa corporalité représente la dimension cosmique, au Christ à la fois Dieu (theos) et homme (andros). Selon Maciej Bielawski, cette notion relève d’une intuition, d’une vision qui parcourt son œuvre plus que d’une définition précise et arrêtée[90]. Elle renvoie en effet à une dimension trinitaire à la fois anthropologique et cosmique. D’un côté, Panikkar défend une anthropologie tripartite[91], corps, âme, esprit ; il parle aussi du troisième œil, propre au mystique, à ne pas séparer des deux autres, l’œil de la raison et celui des sentiments[92]. Si les dimensions de notre être sont divisées, l’expérience de Dieu en sera inévitablement fragmentée ; celle-ci peut se développer seulement en une personne unifiée qui, à l’image du gong bien forgée, émet un son parfait peu importe le coup reçu[93]. En d’autres mots, « [l]’expérience de Dieu consiste à toucher la totalité de l’Etre avec la totalité de notre être – sentir dans notre corps, notre intellect et notre esprit la réalité entière en nous et à l’extérieur de nous.[94] »
D’un autre côté, Panikkar ne conçoit pas le sens mystique sans un rapport étroit avec l’environnement, la nature, le monde dans sa complexité. Face à une société technocratique et déshumanisée, coupée de ses racines telluriques, il propose une « écosophie » qui octroie à la Terre une sagesse qu’il faut se réapproprier[95], ainsi qu’une « christophanie » qui invite à s’éveiller au mystère du Christ à travers l’ensemble de la création. De ce point de vue, il situe la vocation du moine, symbole de la personne qui est une (monos), unifiée, au cœur du monde séculier – il parle alors de « Sécularité sacrée[96] » – et nous rappelle avec Thomas d’Aquin que l’amour de Dieu et l’amour des choses relèvent d’une même dynamique, d’un appétit unique[97]. Or, c’est le moine caché en chacun qui, une fois manifesté en toute conscience, est la clé pour harmoniser ces deux amours dans les gestes simples du quotidien, révélant du même coup que l’expérience de Dieu est « paradoxalement l’expérience de la contingence : nous touchons en un point l’infini.[98] »
Enfin, le troisième élément renvoie à la dimension discursive de l’expérience religieuse. L’effort d’articuler cette dernière de manière rationnelle et systématique, d’en saisir la nature et les enjeux, influe sur notre façon de la vivre, de l’intégrer au quotidien avec le discernement nécessaire pour une vie en plénitude. « Je n’accepte comme telle, souligne Panikkar, que la vision du monde qui ne divise pas la réalité en matière et esprit […]. Dans cette vision tantrique ou sacramentelle, le mot est efficace dans le monde de l’esprit, la pensée exerce une influence sur la matière, les sens sont spirituels, le divin est incarné et l’humain se trouve imprégné de divinité.[99] » Aussi propose-t-il une perspective théologique holistique et nuancée de façon à ne pas céder aux postures extrêmes : « Pour un ensemble complexe de raisons, peut-être parce que l'on a voulu soigner un extrémisme par un autre, en Cette étude sur l’expérience de Dieu chez le théologien oubliant la « via media », la religiosité nous a été présentée comme négatrice de la Vie et la mystique comme une « fuite », de sorte que l'on est tombé dans l'extrême opposé, et que le remède a fini par être pire que le mal. C'est le devoir de notre époque de rétablir l'équilibre.[100] » Il opte alors pour une démarche didactique en vue d’une compréhension juste de l’expérience de Dieu fondée sur la capacité à distinguer sans séparer[101]. Cela consiste en ce que nous appelons des « distinctions épistémologiques » ; il s’agit d’un procédé méthodologique qui met en rapport deux mots qui, synonymes en apparence, permettent de distinguer deux approches d’une même réalité, de manière à en exposer, pour ainsi l’éviter, la perspective qui va dans le sens d’une séparation, d’une expérience fragmentée, coupée de la source, et, à l’inverse, à en dégager la dimension vivante, unifiée et salvatrice. Nous identifions plusieurs de ces distinctions : organisme/organisation[102] ; union/unité[103] ; éternité/immortalité[104] ; foi/croyance[105] ; motif/motivation[106] ; expérience/expérimentation[107] ; personnel/individualiste[108] ; identification/identité[109] ; discours insensé/parole impensée[110] ; relativité/relativisme[111] ; médiation /intermédiaire[112].
Pour illustrer notre propos, arrêtons-nous brièvement sur l’une d’entre elles. En distinguant identité et identification, notamment en référence au Christ, Panikkar est en mesure de dénoncer une posture historiciste, qui consiste à surévaluer le Jésus de l’histoire en mettant de l’avant ce qui le caractérise en propre en fonction de son physique, de son sexe, de sa famille, de son lieu de naissance, etc., tout ce qui au fond rend compte de son « identification », et ce, au détriment du Jésus ressuscité qui se connaît dans l’amour et la foi et non par un examen socio-historique ; Panikkar parle alors de l’« identité » d’une personne pour désigner l’expérience personnelle et transformatrice dans l’acte de connaître qui ne peut se réduire au souvenir d’un fait passé. Ce faisant, il rappelle l’exigence théologique de faire en sorte que toute représentation du Christ trouve un écho dans la vie intérieure de chacun.
Conclusion
Cette étude sur l’expérience de Dieu chez le théologien est loin d’être exhaustive. Il est difficile d’épuiser le sujet car s’y greffe tous les autres. Nous l’avons souligné, sa théologie est mystique, elle repose sur l’incarnation de la Présence non duelle. L’esprit contemplatif en est le cœur à partir duquel s’élabore sa compréhension du Christ et de la Trinité, deux axes majeurs de sa réflexion sur Dieu que nous n’avons pas pu examiner ; nous nous sommes limités en effet à quelques points qui nous apparaissent assez généraux et fondateurs pour soutenir et faciliter une recherche ultérieure plus poussée sur le sujet.
Panikkar s’inscrit dans un important renouveau des études mystiques, dont il fait lui-même le constat au début des années 2000 : « La civilisation bidimensionnelle contemporaine ayant touché le fond, ressent la nécessité d'une metanoia radicale pour récupérer la troisième dimension propre à l'homme.[113] » Il invite à ressaisir cette dernière avec le souci de contrer une anthropologie dualiste, une vision du monde fondée sur le tiers-exclus et qui rime avec la perte du sens mystique, un sens au mieux réduit au sommet de la vie spirituelle sans rapport avec l’ordinaire du quotidien. Aussi associe-t-il l’expérience de Dieu à celle de notre contingence alors transcendée par le troisième œil, pour lequel tout prend une dimension autre dans une unité constamment renouvelée dans la spontanéité de la grâce.
Il est intéressant de noter que son œuvre elle-même participe de cette contingence qui, faut-il le rappeler, inclut la rationalité, l’une des dimensions de la condition humaine ; et puisque ses écrits s’ancrent dans le silence auquel ils font tant référence, ils ne se limitent pas à décrire l’expérience de Dieu, mais ont la capacité de nous y connecter intuitivement. Nous l’avons vérifié maintes fois auprès d’étudiants qui prennent plaisir à approfondir sa pensée, en dépit de la difficulté d’en saisir intellectuellement la cohérence, car elle a la faculté de résonner dans le tréfonds, de faire écho à leur intériorité et d’apporter un éclairage spontané sur leur relation au Réel. Il n’est donc pas exagéré d’appliquer à sa propre œuvre ce que Panikkar dit du journal de Le Saux, à savoir qu’il « nous livre du pré-mental et nous amène au supra-mental.[114] » Tout comme son ami breton, il vise l’essentiel qu’il situe dans une oraison qui « jaillit, écrit-il, du fond de mon âme et reste dans la chambre secrète de mon être, alors seulement cette oraison est véritable (Mt 6, 5 sq.). Tout le reste, dit le Christ, les païens le faisaient déjà (Mt 5, 47 ; 6, 32), les païens prient, psalmodient, aiment, chantent, mais rien de cela ne parvient à Dieu.[115] »
En vertu de cette relation à Dieu vécue dans le fort intérieur, le contemplatif acquiert un rôle prophétique dans la société en défiant l’ordre établi, en en dénonçant les dérives totalitaires le cas échéant. Ainsi, « […] la mystique est politiquement et sociologiquement ‘dangereuse’ pour les défenseurs de l'actuel statu quo, qui paraît se contenter d’une anthropologie bipartite voyant l’homme comme un simple ‘animal rationnel’.[116] » Panikkar n’hésite pas à faire la critique d’une Église qui repose sur une interprétation « microdoxite » du monothéisme, réduite à une connaissance rationnelle d’un Etre Suprême qui l’éloigne du monde, notamment des mystiques qui, alors accusés de panthéisme, expérimentent l'« immensité de Dieu » présente dans toutes les parties[117]. Le théologien ne s’en détourne pas pour autant, à l’instar de Swamiji qui, malgré ses tensions intérieures et le fait d’être peu compris de ses frères chrétiens, aimait profondément son Église, décidé de l’aider à se réformer du dedans. L’un comme l’autre témoignent de leur fidélité à leur communauté religieuse dans leur capacité à la transformer sans rompre avec son passé[118].
L’expérience de Dieu proposée par Panikkar est le reflet d’une Église renouvelée, à l’écoute de l’esprit séculier autant que de l’Inde, dont l’advaita est ici considérée comme le don le plus précieux fait aux chrétiens. Notons que le rapport à la non dualité n’est pas sans la capacité de justifier et d’accompagner une certaine critique séculière de Dieu, dans la mesure où, en réhabilitant l’approche apophatique, il relativise toute tentative de le représenter. Quoi qu’il en soit, le conseil donné à Monchanin par Henri De Lubac a non seulement été transmis à Le Saux par le prêtre lyonnais, comme le suggère Panikkar, mais a aussi, croyons-nous, été repris par ce dernier lui-même : « Il croit (de Lubac) que c’est en me heurtant à l’Inde que je pourrais refaire la théologie, beaucoup mieux qu’en creusant les problèmes théologiques par eux-mêmes.[119] » Dans cette rencontre dialogique, l’expérience de Dieu mise de l’avant dans l’œuvre du philosophe de Tavertet, en référence à la conscience intériorisée du Soi, n’est pas l’occasion de défendre l’obsolescence des institutions, bien qu’il reconnaisse la prédominance dans la société occidentale actuelle de ce qu’il appelle la « christianie » (christianness), à savoir la faculté de se sentir relié au Christ sans le besoin de s’en remettre aux structures religieuses[120].
Les institutions sont nécessaires à condition toutefois qu’elles occupent la fonction qui est la leur ; nous devons les interpréter « non comme un refuge qui nous épargnerait ou nous permettrait l’expérience, mais comme un aiguillon pour faire croître, alimenter et réveiller cette expérience […]. Nous devons comprendre l’institutionnalisation comme un processus ouvert.[121] » Le rôle de l’Église en est alors un de transmission, permettre à chaque génération d’initier la suivante à la vie en Dieu[122]. Or, cela exige non seulement d’entrer soi-même dans le silence du cœur, mais aussi à travers lui de se laisser toucher par le Christ partout il est possible de le reconnaître, dans l’ensemble de la création, au-delà du christianisme[123]. Panikkar rend compte de cette exigence dialogique ou intrareligieuse dans sa « christophanie », qu’il a fait sienne dans sa rencontre avec l’hindouisme et le bouddhisme, tout comme son ami Le Saux quand celui-ci a reconnu l’appel du Seigneur sous les traits terrifiants d’Arunāchala. Et c’est précisément dans l’interfécondation[124] qui en découle que Panikkar répond à l’urgence de libérer l’expérience de Dieu[125], de la rendre accessible à tous, en martelant l’idée que personne n’en a le monopole.
Notes
[1] Robert C. Fuller, Spiritual but not Religious: Understanding Unchurched America, New York, Oxford University Press, 2001.
[2] Nous nous référons au Sacré tel que le comprend le théologien Rudolf Otto.
[3] André Comte-Sponville, L'esprit de l'athéisme : introduction à une spiritualité sans Dieu, Paris, Albin Michel, 2006.
[4] Raimon Panikkar, L’expérience de Dieu. Icônes du Mystère, Paris, Albin Michel, 2002, pp. 8. 17. 60. 136. 209. 213.
[5] « Nous l’appelons ‘Dieu’ afin de ne pas rompre complètement avec les traditions qui ont utilisé ce mot comme symbole de mystère, mais il serait peut-être préférable de s’en passer, comme nous l’avons signalé au début. » Panikkar, L’expérience de Dieu, 2002, p. 60.
[6] Ibid., p. 14.
[7] Agusti Nicolau-Coll, Raimon Panikkar, une biographie intellectuelle, Encyclopédie de l'Agora, 12 février 2015. http://agora.qc.ca/documents/raimon_panikkar_une_biographie_intellectuelle
Panikkar écrit par ailleurs : « […] we cannot pray beyond what we are - and we cannot be beyond what we pray. » Raimon Panikkar, « The Prayer of Our Being », Bulletin of Monastic Interreligious Dialogue 57 (Winter 1997), p. 16.
[8] Panikkar, L’expérience de Dieu, pp. 21-22
[9] « Il n’y a pas d’expérience de Dieu comme substance et transcendance, il n’y a pas de connaissance de l’Infini. Mais il y a une connaissance directe de notre contingence […]. Et c’est précisément dans cette contingence que nous touchons l’infini. L’expression chrétienne de ce contact est ‘incarnation’. » Panikkar, L’expérience de Dieu, 2002, p. 206.
[10] Ibid., p. 62.
[11] Ibid., p. 87.
[12] Ibid., p. 209.
[13] Ibid., p. 88.
[14] Ibid., p. 209.
[15] Ibid., p. 36.
[16] Ibid., p. 36.
[17] Ibid., p. 38.
[18] Ibid., p. 147.
[19] Ibid., p. 206.
[20] Ibid., p. 38.
[21] Ibid., p. 31.
[22] Ibid., pp. 39. 42.
[23] Raimon Panikkar, Mystique, plénitude de vie, Paris, Cerf, 2012, pp. 295-325.
[24] Panikkar, L’expérience de Dieu, p. 60.
[25] Ibid., p. 8.
[26] Ibid., p. 26.
[27] « Tout ce que l’on pourrait dire de façon strictement rationnelle de l’expérience de Dieu serait idolâtrique. Il y a quelque chose de blasphématoire dans toute théodicée et dans toute apologétique […]. Il s’agit, en ultime instance, du primat de la pensée sur l’être, qui caractérise la pensée occidentale depuis Parménide. » Panikkar, L’expérience de Dieu, p. 59. « Prétendre limiter, définir, concevoir Dieu est une tentative en elle-même contradictoire, car son aboutissement serait une création de l’esprit, une créature. » Ibid., p. 28.
[28] Ibid., p. 26.
[29] Ibid., p. 200.
[30] Ibid., p. 26.
[31] Voir le document audiovisuel : Panikkar The Window, https://www.youtube.com/watch?v=N7zGBvb4Om0.
[32] Judson B. Trapnel, « Panikkar, Abhishiktananda, and the Distinction Between Relativism and Relativity in Interreligious Discourse », Journal of Ecumenical Studies, vol. 41, no 3/4 (Summer – Autumn 2004), p. 15.
[33] Panikkar, L’expérience de Dieu, p. 27.
[34] Shirley Du Boulay, La grotte du cœur. La vie de Swami Abhishiktananda Henri Le Saux, Paris, Cerf, 2007, p. 14. Nous estimons que connaître la vie et le message du moine français aide grandement à comprendre la pensée du théologien ; c’est ce que nous montrerons dans un article ultérieur.
[35] Panikkar, L’expérience de Dieu, p. 66.
[36] Ibid., p. 66.
[37] Ibid., p. 200.
[38] « […] la méthode appropriée pour parler de Dieu exige la pureté du cœur qui sait écouter la voix de la transcendance (divine) dans l’immanence (humaine). Sans le silence de l’intellect et de la volonté, sans le silence des sens, sans l’ouverture de ce que certains appellent le ‘troisième œil, dont parlent non seulement les Tibétains mais aussi les disciples de Richard de Saint-Victor, il n’est pas possible d’approcher le domaine dans lequel le mot ’Dieu’ peut avoir un sens. » Panikkar, L’expérience de Dieu, p. 15. Voir aussi p. 32. Dans ce même livre, Panikkar débute et termine sa réflexion sur l’importance du silence.
[39] Henri Le Saux, La montée au fond du cœur. Le journal intime du moine chrétien-sannyasi hindou, 1948-1973, Paris, O.E.I.L., p. II.
[40] Ibid., p. 453.
[41] Entrevue avec Raimon Panikkar, Swami Abhishiktananda: An Interview with Raimon Panikkar, 12 août 2007, 42’20’’. https://www.youtube.com/watch?v=SOMcDuHh31g.
[42] Nicolau-Coll, Raimon Panikkar.
[43] Le Saux, La montée au fond du cœur, p. V.
[44] Du Boulay, La grotte du cœur, p. 16.
[45] Ibid., p. 12. Le Saux, La montée au fond du cœur, p. V.
[46] Panikkar, Mystique, plénitude de vie, p. 246. Panikkar se montre pessimiste en ce qui concerne l’avenir de l’humanité et de la terre, réclamant une véritable metanoia, un changement de cap profond, au-delà de simples réformes : « Les demi-mesures et les palliatifs ne serviront à rien. Seule une metanoia radicale, un changement radical de l’esprit, du cœur et de l’intelligence peut répondre à nos besoins. » Panikkar, Mystique, plénitude de vie, p. 63.
[47] Ibid., pp. 223. 260. 304. 335. 261.
[48] Ibid., p. 94.
[49] « La mystique, correctement comprise, est le royaume de la liberté : elle libère l'homme tant de ses conditionnements transcendants que de ses conditionnements immanents, sans pour autant le laisser sombrer dans un libertinage anarchique, parce qu'elle lui ouvre la voie pour réaliser son identité. » Ibid., p. 210. Panikkar écrit aussi : « mais elle libère aussi nos actes de toute inhibition par crainte d'insuccès. On fait les choses parce que l'on trouve en elles un sens - et non pour leurs résultats (toujours problématiques). » Ibid., p. 353.
[50] « […] non seulement le contemplatif comprendra la nécessité théologique de décongestionner la société moderne, mais il mettra l’idée en pratique. » Ibid., p. 93. Il ajoute : « Par conséquent, la contemplation n'est pas seulement la vocation de l'homme, elle est aussi l'unique espoir de la réalité sociologique, humaine, écologique. Contempler dans les nefs du monde veut dire précisément deux choses : pouvoir soutenir les piliers, les colonnes de ce monde et, si nécessaire, comme Samson, ne pas hésiter à les faire s'écrouler. » Ibid., p. 182.
[51] « Il serait naïf et prétentieux, autant qu'erroné, de présenter l'expérience mystique comme le remède à toutes les perplexités actuelles de la philosophie, ou comme la panacée contre les « maux » de l'humanité. Mais ce serait tout aussi irresponsable de limiter l'importance de la critique au réductionnisme rationnel (et pas seulement rationaliste) que 1'expérience mystique porte implicitement en elle. » Ibid., pp. 209-210. Il précise également : « Tous les problèmes ne sont pas résolus, mais un pas en avant peut être fait si le contemplatif unit esprit et cœur à l'approche active. » Ibid., p. 126.
[52] « Paix, harmonie et compréhension ne peuvent être atteintes en une seule nuit. Ce qui est le résultat de millénaires peut être résolu sans tenir compte du facteur temps, des rythmes naturels de l'histoire. D'autre part, si les résultats espérés tardent, le regard contemplatif nous évitera de nous sentir découragés ou frustrés. » Ibid., p. 128.
[53] « Combien de fois n'avons-nous pas eu peur de prendre un risque par crainte de mettre en jeu notre prestige, notre avenir, et peut-être même notre vie ! » Ibid., p. 354. Panikkar écrit aussi : « La mystique représente un contre-courant à l'intérieur de la culture ; la mystique est un contrepoids. » Ibid., p. 234. Et d’ajouter : « Le vrai mystique ne se laisse conditionner par aucune circonstance, il n'est pas esclave du monde extérieur, il ne transforme pas en tragédie la moindre calamité, il n'ontologise aucune loi, il vit et agit donc en toute liberté, en sachant que le sabbat est pour l'homme et non vice-versa. » Ibid., p. 355.
[54] Entrevue avec Raimon Panikkar, Swami Abhishiktananda: An Interview with Raimon Panikkar, 12 août 2007, 3’46’’. https://www.youtube.com/watch?v=SOMcDuHh31g
[55] Panikkar, Mystique, plénitude de vie, p. 129.
[56] « […] la grande hérésie (dans le sens littéral du terme) de notre temps, consiste en la séparation entre connaissance et amour. La mystique cosmothéandrique […] [c]’est le novum de notre millénaire – bien que ses racines plongent dans les débuts de l’histoire. » Ibid., p. 27.
[57] Ibid., p. 329.
[58] Ibid., pp. 28. 357.
[59] Ibid., p. 63.
[60] Ibid., p. 85.
[61] Voir Ibid., p. 221.
[62] Voir Ibid., pp. 93. 88.
[63] Ibid., p. 221. Voir aussi p. 364.
[64] Ibid., p. 169.
[65] Ibid., pp. 222-223.
[66] Voir Ibid., p. 391.
[67] Du Boulay, La grotte du cœur, p. 13.
[68] Voir Panikkar, L’expérience de Dieu, 2002, p. 215.
[69] Panikkar, Mystique, plénitude de vie, p. 95. Voir aussi pp. 392. 393. 394.
[70] Henri Le Saux, La rencontre de l'hindouisme et du christianisme, Paris, Le Seuil, 1966, p. 183. Voir aussi Panikkar, L’expérience de Dieu, pp. 8. 17. 60. 136. 209. 213.
[71] « Le silence est notre unique attitude, non pas du fait que nous sommes incapables de parler d’elle, mais du fait que sa spécificité consiste à être silence. » Panikkar, L’expérience de Dieu, p. 56.
[72] « J’accède à Dieu si je ne m’arrête pas à moi-même ; c’est-à-dire si mon moi profond est transporté dans un tu (le tu de Dieu). » Ibid., p. 68. Et d’ajouter : « ‘Ce n’est pas moi qui vis mais le Christ qui vit en moi’ […] cette expérience existentielle que ce qui est le plus profond en moi, c’est le Christ, pas un autre Christ, mais le Christ lui-même. » Ibid., p. 68.
[73] Ibid., p. 60.
[74] Le Saux, La montée au fond du cœur, p. X.
[75] Ibid., p. X. « L’expérience de Dieu n’est pas une expérience du ‘Je’. […] l’expérience de Dieu ne peut être interprétée comme un pur phénomène psychologique qui ne transcenderait pas les frontières de l’archétype et du moi profond. C’est une expérience ontique et ontologique […] Je ne découvre pas un autre objet ou d’autres êtres ; je découvre la dimension de profondeur, d’infini, de liberté, qui se trouve en tout et en tous. » Panikkar, L’expérience de Dieu, pp. 66-67.
[76] Ibid., p. 209.
[77] Ibid., p. 132.
[78] Ibid., p. 192.
[79] Ibid., pp. 85. 87.
[80] « Les principaux dogmes du christianisme sont non dualistes : Christ n’est ni uniquement Dieu ni uniquement homme ; il n’est pas non plus moitié Dieu et moitié homme. […] La Trinité est autant un défi au monisme qu’au dualisme… Et si Dieu n’est ni ‘un’ ni ‘trois’, que signifie alors la Trinité ? Précisément cela : que Dieu n’est ni un ni trois, qu’Il ne se laisse enfermer dans aucun nombre. » Ibid., p. 98.
[81] Ibid., p. 96.
[82] Voir Ibid., p. 23.
[83] « Nous répétons que l’expérience d’un Dieu transcendant n’est pas possible […] L’expérience exige l’immédiateté. Ce qui se passe est que ‘ce’ Dieu n’existe pas ; il est une projection de notre esprit, fruit d’une civilisation monarchique. Le Dieu trinitaire est autre ; nous sommes insérés dans la perichoresis divine. Je m’expérimente comme fils […] qui […] n’est qu’une métaphore […] Cette expérience de Dieu est l’expérience de notre Moi profond, l’expérience que nous sommes paradoxalement le plus intimement nôtre et en même temps supérieur à nous. » Panikkar, L’expérience de Dieu, p. 215.
[84] « La transcendance ou altérité est si absolue qu’elle se transcende elle-même et ne peut être appelée transcendante. La divinité n’est pas ; son être est au-delà de l’Etre. » Panikkar, L’expérience de Dieu, p. 55.
[85] Voir Le Saux, La montée au fond du cœur, p. 59.
[86] Nicolau-Coll, Raimon Panikkar.
[87] Maciej Bielawski, Henri Le Saux et Raimon Panikkar. Histoire et interprétation d'une amitié, 2010, p. 4. http://www.maciejbielawski.com/henri-le-saux-et-raimon-panikkar.html
[88] Panikkar, L’expérience de Dieu, p. 212.
[89] Nicolau-Coll, Raimon Panikkar.
[90] Ibid.
[91] Panikkar, Mystique, plénitude de vie, p. 324.
[92] Panikkar, L’expérience de Dieu, p. 37.
[93] Ibid., p. 65.
[94] Ibid., p. 215.
[95] Nicolau-Coll, Raimon Panikkar. Voir aussi De l’écologie à l’écosophie : l’intuition de Raimon Panikkar Juan Carlos Valverde Campos
[96] Nicolau-Coll, Raimon Panikkar.
[97] Panikkar, L’expérience de Dieu, p. 146.
[98] Ibid., p. 215.
[99] Ibid., p. 74.
[100] Panikkar, Mystique, plénitude de vie, p. 357.
[101] Ibid., p. 208.
[102] Raimon Panikkar, Éloge du simple. Le moine comme archétype universel, Paris, Albin Michel, 1985, pp. 36-37.
[103] Panikkar, Mystique, plénitude de vie, p. 333.
[104] Ibid., pp. 363-364.
[105] Ibid., p. 252.
[106] Ibid., p. 96.
[107] Ibid., pp. 102. 115.
[108] Ibid., p. 348.
[109] Ibid., pp. 108-110. 122-123. 348. 350.
[110] Ibid., p. 143.
[111] Ibid., p. 455.
[112] Ibid., pp. 243-244. 249. 296. 297. 312. 313. 345.
[113] Ibid., p. 201.
[114] Le Saux, La montée au fond du cœur, p. IV.
[115] Panikkar, L’expérience de Dieu, p. 199.
[116] Panikkar, Mystique, plénitude de vie, p. 261.
[117] Ibid., p. 329.
[118] Panikkar écrit au sujet du journal de son ami : il « nous livre le témoignage frappant d’un contemporain qui, sans rompre avec son passé, sans le répudier a pu le transformer grâce à sa foi et à sa fidélité. » Le Saux, La montée au fond du cœur, p. V. Il est intéressant de noter que ce commentaire fait écho à celui-ci sur le théologien catalan lui-même : « Panikkar était un vrai interprète de la tradition, ce qui lui permit de transcender le paradigme catholique sans le contredire, mais plutôt en l’élargissant et, en conséquence, en le dépassant, sans jamais le nier. Je dirais que sa façon de rester fidèle à la Tradition était de la dépasser, si paradoxal que cela puisse paraître. »
Nicolau-Coll, Raimon Panikkar.
[119] Le Saux, La montée au fond du cœur, p. VI.
[120] Raimon Panikkar, A Dwelling Place for Wisdom, Louisville, Westminster/John Knox Press, 1993, pp. 134-139.
[121] Panikkar, L’expérience de Dieu, p. 49. Voir aussi Raimon Panikkar, Mystique, plénitude de vie, Paris, Cerf, 2012, p. 359.
[122] Panikkar, L’expérience de Dieu, p. 79. 82.
[123] Ibid., p. 113.
[124] Nicolau-Coll, Raimon Panikkar.
[125] Panikkar résume ainsi l’intention de son ouvrage : « Tout le livre s’efforce de libérer Dieu des mains des spécialistes et des spécialisations. L’expérience de Dieu est ouverte à tous. […] Il n’est pas nécessaire d’appartenir à une caste ou à une religion, ni d’être grand savant. » Panikkar, L’expérience de Dieu, p. 141.
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