Volume XII:2 July - December 2022
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Il était une fois, Toumliline

 Ainsi pourrait commencer le récit de la fabuleuse histoire de ce monastère sis sur les contreforts du Moyen Atlas au Maroc. C’est d’ailleurs le titre d’un beau livre de photos que lui a consacré M. Jamaâ Baïda[1], historien et directeur des Archives nationales du Maroc.

Fondé en 1952 par l’abbaye d’En Calcat qui envoya 20 moines sur place, choisis parmi les 120 que comptait alors l’abbaye, cette nouvelle fondation allait se trouver au carrefour des courants divers qui agitaient alors le Maroc, avant et après son indépendance en 1956. 

Les sessions de Toumliline
En août 1955, un camps de vacances des environs fut fermés par les autorités française au prétexte de supposées activités nationalistes.  A l’improviste, les responsables du camp sont venus demander au monastère de les héberger sur le domaine. Les moines ont ainsi contribués aux activités du camp en donnant des causeries sur les thèmes les plus divers. L’idée de créer des sessions culturelles d’été dévolues à la jeunesse était née. Mgr. Amédée Lefèvre, archevêque de Rabat,  et les « chrétiens libéraux » favorables à l’indépendance du pays, à l’opposée de la grande majorité des colons français, ont grandement favorisé et encouragé l’émergence de ces sessions, grâce à la collaboration active des moines et de leur énergique prieur, Denis Martin.

Lors de ces Rencontres Internationales d’été, on imaginait ensemble une réponse aux défis du temps, de l’éducation, de l’organisation de la cité. On y découvrait l’écoute, le partage dans la fraternité.

« Les organisateurs invitaient des intervenants d’organisations internationales, d’universités, du monde politique, syndical ou de la société civile, marocains, maghrébins, arabes, africains, européens, asiatiques ou nord-américains. Ils conviaient enfin des étudiants appartenant à des nationalités très diverses », précise la Fondation Mémoires pour l’Avenir.

Des centaines d’étudiants de toutes confessions et de tous horizons s’y retrouvaient chaque année. Cela dura une décennie, de 1956 à 1966, qualifiée « d’exception » par François Martinet[2].

Des professeurs prestigieux se sont déplacés depuis les universités d’Europe, de Harvard et de Princeton, mais aussi du Caire, de Bagdad et du japon. Ils avaient pour nom : Louis Massignon, Emmanuel Lévinas, Mehdi Ben Barka, Jacques Cotier, Jean Daniélou, James Kritzek,  Olivier Lacombe, René Rémond ou Germaine Tillon, Le Fqih Mohammed Ben Larbi Alaoui, Président de l’Université Al Qarawiyine etc.

Des « années de plomb »
Le mouvement nationaliste qui a suivi l’indépendance se fit de plus en plus antifrançais. Les colons français sont partis par dizaines de milliers. Le monastère dû fermer en 1968. Des « années de plomb » et d’oubli ont succédées aux années effervescentes où tout pouvait encore être envisagé. Il revient aux marocains de dire le pourquoi et le comment de cette période sombre, pour la surmonter vraiment, et retrouver le fil de leur histoire.

Les attentats de Casablanca en 2003 ont fait l’effet d’un tremblement de terre au Maroc. Avec stupeur, la population découvrait que des enfants venant de milieux défavorisés du pays, complétement incultes, s’étaient affiliés à l’organisation islamiste terroriste Al Qaïda. Un sursaut de la mémoire nationale de la confiance que se faisaient les religions musulmanes, juives et chrétiennes qui ont vécu en bon voisinage sur cette terre, devenait pressant.

Mémoires pour l’Avenir
Depuis le règne Mohammed VI, le Maroc s’est doté en 2006 de l’Institut Royal de la Recherche sur l’Histoire du Maroc et en 2008 de la Fondation Mémoires pour l’Avenir (FMA) afin de promouvoir des recherches sur l’histoire nationale. Les Archives nationales du Maroc ont été créées en 2007. Ces trois institutions ont permis de jeter les premiers jalons pour des recherches et de travaux de diffusion,  sur la mémoire du pays, ainsi que sur le monastère de Toumliline.

Le Roi Mohammed VI a même cité le nom de Toumliline aux participants d’un Congrès sur « Les droits des minorités religieuses en terre d’Islam : Le cadre juridique et l’appel à l’action », organisé en 2016 à Marrakech. Il affirmait que « le Maroc a été un pays précurseur en matière de dialogue interreligieux… En effet, au lendemain de l’indépendance obtenue en 1956, il se tenait, chaque été au monastère de Toumliline - situé sur une montagne de la région de Fès et occupé anciennement par des moines bénédictins - un rassemblement d’intellectuels et de penseurs, notamment musulmans et chrétiens, auquel prenaient part des personnalités d’envergure comme le célèbre penseur chrétien Louis Massignon ».

Un proche du roi ajoutait : « … Toumliline pour les Marocains de ma génération est l’espace le plus emblématique de ce que notre société peut à la fois rêver de maintenir en activité et en vie. Elle est aussi cet espace qui devrait encore inspirer plus fortement et de façon bien structurée et organisée, tout un chacun de la société civile. (…) Toumliline n’a pas été circonstancielle pour un moment donné. En ces temps où tous les archaïsmes et les régressions sont autour de nous, à nos portes, l’esprit de Toumliline peut nous servir de source d’inspiration » André Azoulay (Conseiller du Roi Mohammed VI).

C’est pour poursuivre ce travail de mémoire, que du 31 mai au 1er juin 2022, s’est déroulé la 5ème Edition d’un colloque pour « réinventer Toumliline », intitulé cette année « Préserver et transmettre la mémoire et ancrer l’altérité », inscrit avec détermination dans une continuité avec Les « Rencontres Internationales de Toumliline ». La Rabita Mohammedia des Oulémas via son Centre Ta’aruf et la Fondation Mémoires pour l’Avenir, en partenariat avec l’Institut Catholique de Toulouse et la Fondation Futur 21, en étaient les organisateurs. Ils ont souhaité que cette rencontre se tienne en partie sur le site de l’ancien monastère ».[3]

En prémices du colloque, une cérémonie émouvante s’est déroulée dans le cimetière chrétien de Rabat, en présence de Mgr. Cristobal Lopez, Cardinal Archevêque du Diocèse de Rabat, sur la tombe réunissant tous les défunts du monastère de Toumliline.

Pour le colloque lui-même, les intervenants de l’Institut Catholique de Toulouse furent excellents, et les intellectuels marocains nous ont introduit dans les arcanes d’une autre culture, une autre pensée, qui oblige à un décentrement intellectuel ; exercice bénéfique, qui fait prendre conscience que les occidentaux l’imposent habituellement sans s’en rendre compte aux autres cultures du monde.

Le monastère
C’est ainsi que j’ai pu découvrir avec émotion le site du monastère de Toumliline, en cours de réhabilitation[4]. Magnifiquement situé dans une forêt de chênes verts, non loin d’une autre forêt de cèdres, il domine à 1300m la ville d’Azrou et ouvre sur une perspective couvrant un large horizon. Le mauvais état de conservation des bâtiments est lui plus éprouvant. Mais les discours des représentants officiels de divers organismes attachés à la réhabilitation du lieu avaient quelque chose d’encourageant.

Le site ne retrouvera certes pas une communauté bénédictine, ni probablement pas les mémorables rencontres internationales. L’exception ne peut être reproduite. Mais la chaleur de l’émotion des participants retrouvant, pour les plus anciens, une part de leur mémoire longtemps restée enfouie, donne à penser que :  « l’esprit de Toumliline pourra encore servir de source d’inspiration ».

Notes

[1] Ed. La croisée des chemin- Archives du Maroc 2019 

[2] Les Rencontres internationales de Toumliline - Une décennie d’exception -  Ed. Siroco 2019

[3] Une courte vidéo de cette rencontre a été publiée sur YouTube.

[4] « Une convention de partenariat visant la réhabilitation et la valorisation du site de l’ancien monastère de Toumliline, situé dans le périmètre du Parc National d’Ifrane, a été signée en mars 2022, par le Département des Eaux et Forêts et la Fondation Mémoires pour l’Avenir (FMA). Cette convention vise à mettre en place une démarche pilote, commune et inclusive tournée vers la préservation de l’environnement et le développement d’un tourisme culturel qui valorise le patrimoine historique exceptionnel du site ».

 

 
 
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