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Recension : Le Swami et la Carmélite. I – L’appel de l’Inde
Correspondance Henri Le Saux – Thérèse de Jésus 1959-1968. Préface et notes de Yann Vagneux Ce volume ainsi qu'un second : La Beauté du Gange couvre la correspondance entre Sœur Thérèse de Jésus, maîtresse des novices au Carmel de Lisieux, et Swami Abhisshiktanada (le moine bénédictin Henri le Saux) de 1959 jusqu'à la mort de Le Saux en 1973. Malheureusement, ce premier volume s'arrête en 1968 et laisse sur sa faim.
En guise de biographie, dans L'appel de l'Inde, on apprend que le premier lien entre Le Saux et le Carmel de Lisieux a commencé à la fin des années 1950 lorsque Mme Le Saux a confié son inquiétude au sujet de son fils, Henri, le moine bénédictin, qui se trouvait en Inde depuis une douzaine d'années. C'est le début d'une amitié avec la supérieure, M. Frances Thérèse, qui plus tard présentera à sa jeune maîtresse des novices, Sr Thérèse de Jésus, la correspondance avec Abhisshiktanada. Elle savait que Sœur Thérèse avait une soif extraordinaire de Dieu, et de "Dieu seul", et elle pensait que la correspondance entre elles lui serait bénéfique.
Il n'y a pas de doute que cela a été le cas. Mais ce qui a commencé comme une simple correspondance a conduit à l'appel de Sr. Thérèse elle-même à commencer une vie solitaire en Inde.Elle écrivit même au pape Jean-Paul XXIII pour lui demander la permission de partir.
Un an plus tard, en février 1963, la réponse de l'évêque Paul-Peter Philippe, secrétaire de la Congrégation des Religieux, fut un "non" catégorique, accompagné d'une note précisant qu'il était interdit à Sœur Thérèse d'entretenir aucune autre correspondance avec Le Saux. Dans la dernière lettre qu'elle lui adresse à ce moment-là, Sœur Thérèse fait preuve d'une acceptation et d'un abandon héroïques à Dieu dans cette circonstance de sa vie.
Mais dans les coulisses, M. Frances Thérèse finit par convaincre Mgr Philippe qu'il doit permettre à Sœur Thérèse de faire l'expérience de la vie en Inde. En octobre 1964, Mgr Philippe lui donne la permission de transféré au Carmel de Pondichéry et elle rencontre Abhisshiktanada pour la première fois sur le quai de Bombay en septembre, 1965. De là, elle se rend au Carmel de Pondichéry où elle reste deux ans avant de recevoir un indult d'exclaustration de trois ans, qui lui permet de quitter la clôture et de vivre en solitaire. Elle s'habille d'un sari et s'installe finalement à côté de l'ashram œcuménique de Jyotiniketan.
Cependant, même si cette histoire est fascinant, la vraie beauté de ce premier volume est l'aperçu du voyage spirituel de Sœur Thérèse guidé continuellement par la sagesse de Le Saux.
Alors qu'elle se trouve encore à Lisieux (et nous apprenons que Lisieux était en effet un lieu très fréquenté, avec une histoire de popularité remontant à la canonisation de sainte Thérèse, lorsque la communauté recevait de 500 à 1000 lettres par jour !), le Père Le Saux a écrit :
Reconnaître le goût du Seigneur dans la nourriture que nous mangeons, son visage dans le frère ou la sœur que nous rencontrons, le son de sa voix dans toutes les ondes acoustiques qui parviennent à nos oreilles... entrer dans la vérité, c'est retrouver notre identité, mais avec une compréhension nouvelle, celle du fils de Dieu ressuscité. (p.40)
Et Le Saux n'hésite pas à dire à S. Thérèse qu'elle est trop occupée d'elle-même, pas assez abandonnée au Seigneur. Il ajoute plus loin : " Encore une fois, ne vous préoccupez pas tant de votre vie contemplative. Concentrez-vous plutôt sur le moment présent. Le reste se fera tout seul" (p. 124). Quelque pages plus loin nous lisions :
Ne venez en Inde que pour Dieu lui-même. Pas pour vous-même. Pas pour être un contemplatif. Pas pour être parfaite. Le vrai contemplatif ne se préoccupe pas d'être un contemplatif. Il l'est. La contemplation, c'est porter son regard sur Dieu. Se demander si l'on est un contemplatif signifie que l'on porte son regard sur soi-même (p. 126).
Tout en la guidant continuellement dans son voyage spirituel, lorsqu'elle arrive en Inde, il l'aide aussi pour toutes les questions pratiques. Sœur Thérèse est une personne très timide, sans une santé robuste, avec une tendance à la scrupulosité (au moins pendant ses années en France) et qui a du mal à s'adapter à la chaleur et au froid, ainsi qu'à la nourriture. Elle cherche aussi un endroit où elle pourrait vivre dans son propre ermitage, mais à l'ombre d'un ashram. Mais même lorsqu'on lui propose de vivre près d'un ashram protestant, elle craint de dire ce qu'il ne faut pas et de les offenser, ou de ne pas utiliser les titres qui leur sont propres. Elle a un million de soucis, mais apprend à les surmonter au fur et à mesure de son cheminement. Le Saux ne se préoccupe pas de ces difficultés extérieures, mais s'attache à l'encourager, à faire ressortir le meilleur d'elle-même, à l'aider à vaincre ses soucis tout en nourrissant sa quête de Dieu.
Ce livre vaut vraiment la peine d'être lu, à la fois pour un contact plus profond avec la spiritualité indienne (y compris l'Advaita), mais tout autant pour nourrir l'âme et la vie contemplative.
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