Dilatato Corde 5:1
January - June, 2015
Lettre_a_un_ami_fraternel.gif
Christian de Chergé
LETTRES À UN AMI FRATERNEL
 
L’héritage des frères de Tibhirine est loin d’être épuisé. Voici une édition fort originale : on y trouve 74 lettres de Christian de Chergé. Elles sont adressées au P. Maurice Borrmans, père blanc, professeur à Rome, à l’Institut qui est devenu en 1981 le PISAI (Institut Pontifical d’études arabes et d’islamologie). Christian y avait été son élève pendant deux ans (1972-74). Les lettres couvrent toute la période qui va du 22 septembre 1974 (la Saint-Maurice) à fin décembre 1995. La mort surviendra à peine cinq mois plus tard… On note une remarquable fidélité : le P. Maurice écrit pour la saint Bernard (20 août), grand patron des moines cisterciens, et le moine essaie de lui répondre autour de la fête de la Saint Maurice (22 septembre). L’ensemble forme une fresque historique qui couvre plus de vingt ans et donne des nouvelles de tout un monde aujourd’hui pour une grande partie disparu.
 
Il y a le texte, il y a le travail d’édition qui l’a préparé, et dont le frère de Christian, le général Robert de Chergé retrace dans un Postface l’histoire, et il y a l’Introduction avec les notes, rédigées par le correspondant, le P. Borrmans. Certes il nous manque les lettres de celui-ci : P. Christian ne les a pas conservées, mais
Maurice Borrmans
Maurice Borrmans
très heureusement, le Père blanc (actuellement nonagénaire, pensons-nous) éclaire par des petites notes brèves et précises le contexte de chaque lettre, la forme et le lieu, les personnes citées et leur parcours. Pour tous ceux qui ont eu quelque lien avec l’Afrique du Nord ou avec les monastères concernés, en France notamment (Aiguebelle, Bellefontaine, Tamié, Timadeuc, Orval, Echourgnac, etc.), ces pages sont d’une information très remarquable. Et l’introduction resitue l’apport du P. Christian au cœur de la réflexion plus large du dialogue entre chrétiens et musulmans.
 
Trois choses me frappent dans tout ce livre.
 
Il y a tout d’abord le caractère vibrant de chaque lettre, la chaleur, la sincérité de l’amitié, le style : Christian est une personnalité de feu. Rien de banal, rien de mesquin. La lettre a comme première caractéristique son côté bref, envoyé, flèche qui part d’un coup. Parfois la correspondance est enrichie par de petits dossiers de réflexion (surtout les premières années), ou encore par une lettre circulaire envoyée aux parents et amis de la communauté, lors du Nouvel An. Mais chaque fois on est frappé par la touche directe, chaleureuse, ardente. Homme de foi, homme de cœur, il est par excellence l’ami et fait de chacun de nous maintenant un ami de son ami.
 
Deuxièmement, on peut dire qu’indirectement ces lettres constituent une vraie chronique, avec des réactions à chaud sur par exemple les interventions du pape Jean-Paul II, notamment sur son discours aux jeunes musulmans dans le stade de Casablanca au Maroc en 1985, et plus encore sa longue prière finale, ou encore sur la mort d’amis très proches de la communauté, tués brutalement, avant que viendra leur tour, si redouté. Les départs de la fondation au Maroc, ce qui deviendra aujourd’hui la communauté de Midelt, y trouvent également le tracé précis et circonstancié. Le texte, hautement personnel, déborde constamment le seul point de vue de Christian et nous fait participer
Christian de Chergé
Christian de Chergé
à une histoire en marche, avec des rencontres qui touchent tout le monde monastique d’alors, tout l’effort interreligieux d’après Vatican II, toute la réflexion ecclésiale sur vie missionnaire et rencontre respectueuse de l’autre religion (‘Mission et Dialogue’). Comme il n’y a absolument rien de narcissique dans ces pages, on éprouve un bonheur immense à les lire ! Sur ce point, ce témoignage est celui d’un saint.
 
Enfin, Christian a beaucoup à faire, comme hôtelier, comme prieur, mais il garde le cap : il n’a qu’une conviction, il nous faut viser la rencontre, le dialogue, l’hospitalité entre priants. Il est ainsi un excellent témoin du changement de perspective dans l’approche interreligieuse : tourner résolument le dos à l’apologétique et entrer franchement en dialogue en auscultant la tradition de l’autre pour y découvrir comment l’Esprit y est à l’œuvre. Sur ce point les deux correspondants ont des points de vue assez différents. Mais Christian reste rivé à cette nouvelle priorité : ce qu’il appelle sa « curiosité » consiste à écouter dans la tradition de l’autre comment l’Esprit de Dieu y est secrètement et indéniablement présent.
 
Ces lettres ne permettent pas de rédiger comme telle une théologie systématique de la rencontre interreligieuse, mais à lire et à relire ces pages on se frotte à une spiritualité vécue, de saveur hautement monastique, cénobitique même, et qui prépare les esprits et les cœurs à une expérience interreligieuse des plus rigoureuse et de note juste. Avec ce que nous vivons aujourd’hui, le Christian d’il y a trente-cinq et quarante ans (1974), est prophétique : il voit le futur qui doit encore s’ouvrir devant nous. Il est en avance non seulement sur son époque mais sur la nôtre, nous qui sommes en train de régresser dangereusement. A chaque lettre on y boit une eau fraîche, faite de foi, de patience et d’espérance.
 
 
 
Home | DIMMID Introduction | DILATATO CORDE
Current issue
Numéro actuel
| DILATATO CORDE
Previous issues
Numéros précédents
| About/Au sujet de
DILATATO CORDE
| News Archive | Abhishiktananda | Monastic/Muslim Dialogue | Links / Liens | Photos | Videos | Contact | Site Map
Powered by Catalis