Dilatato Corde 1:2
July - December, 2011
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NOUS SOMMES RESPONSABLES
DE L'ESPRIT D'ASSISE

Le 27 octobre 2011 sera le 25ème anniversaire de la journée de prière pour la paix à Assise. Il convient de célébrer cet anniversaire dans notre revue, parce que ce qui a été vécu là est préci-sément ce que nous essayons de vivre à notre place dans ce mouvement dialogal au niveau de l’expérience spirituelle.

Le Secrétariat pour les non chrétiens (actuellement ‘Conseil Pontifical pour le Dialogue Inter-religieux’) m’avait invité à y participer en tant que consulteur et pour en faire ensuite un compte rendu dans son Bulletin.[1] Il y avait aussi parmi les invités Dom Viktor Dammertz, Abbé Primat des bénédictins, et le Père Abbé Simone Tonini, Président de la Congrégation bénédictine des Silvestrins.

Ce qui s’annonçait comme une parmi les nombreuses réunions interreligieuses a surpris tout le monde par l’ampleur de la participation des responsables religieux. Cette journée est finalement apparue comme un évènement historique : pour la première fois toutes les religions se trouvaient réunies en tant que telles, et pas seulement en tant que puissances politiques, agents humanitaires ou héritières de cultures prestigieuses. Elles sont tout cela, mais, à Assise, elles étaient convoquées en tant que sources de vie spirituelle.

Le pape Jean-Paul II avait eu une intuition particulièrement heureuse en invitant ainsi toutes les confessions chrétiennes et toutes les autres religions à s’engager pour la paix. L’année 1986 avait en effet été proclamée ‘année de la paix’ par l’O.N.U. Or l’église catholi-que était seule capable d’organiser un tel rassemblement, grâce à sa diffusion dans le monde entier et ses services diplomatiques. Mais il fallait de l’audace pour situer l’engagement pour la paix à ce niveau proprement religieux.

C’est pourquoi au soir de cette journée de pèlerinage et de jeûne nous avons prié tous ensemble pour la paix dans le monde. Auparavant les différentes délégations avaient prié sé-parément. J’étais avec les bouddhistes, accueillis dans l’église du monastère bénédictin Saint Pierre. Ils étaient particulièrement bien représentés, car il y avait là le Dalaï Lama, les Véné-rables Etaï Yamada, Maha Ghosananda, Nikkyo Niwano et bien d’autres représentants importants du Bouddhisme.

Mais en fin d’après-midi toutes les délégations se sont rassemblées devant la basilique de Saint François. Elles se sont succédé au centre de l’assemblée pour réciter les prières de leurs traditions respectives. Les formules de prière étaient certes très différentes, mais, à moins d’identifier la prière à ses formulations, je puis attester que nous formions une seule grande prière, tant ceux de l’assemblée des représentants que tous ceux qui assistaient de plus loin. Nous n’étions pas de trop pour implorer Dieu en faveur d’une cause aussi vitale. Le froid et le vent obligeait les participants à se couvrir autant que possible, mais il n’a pas entamé la ferveur de tous.

À la réflexion cette communion dans la prière s’imposait doublement.

D’une part les organisateurs de cette assemblée qui voulaient manifester et promouvoir la collaboration de toutes les religions pour la paix étaient aussi très conscients que cet objectif était hors de porté des simples réflexions ou résolutions. Le pape l’a d’ailleurs clairement exprimé dans son intervention : la paix est un don de Dieu.[2] Il ne peut qu’être imploré, appelé dans une prière unanime.

D’autre part, en invitant des représentants des autres religions, le pape tenait à le faire dans le plus grand respect, comme la Déclaration Nostra Aetate du Concile Vatican II y invitait les catholiques. Et ce respect intégral incluait la reconnaissance en chacune d’elle de cette capacité de communier avec l’Ultime dans la prière ou la méditation. Or la prière des autres n’est pas un spectacle ; il eut été impie d’y assister comme à une scène exotique.

Certes, au moment de la promulgation de Nostra Aetate, vingt et un an auparavant, l’initiative d’une prière unanime aurait été difficilement imaginable. Et cependant je crois pouvoir dire qu’Assise 1986 est dans le droit fil du Concile. Toutefois, si elle est bien dans la perspective de Vatican II, cette entreprise est aussi au-delà. Alors que le Concile avait réalisé une évolution majeure dans son rapport aux autres religions en passant du rejet au dialogue, l’appréciation des autres religions était encore caractérisée par une certaine réticence, voire un peu de condescendance. Mais à Assise l’estime sincère de l’église a pu pleinement s’exprimer. En invitant les représentants de toutes les religions à prier ensemble, le pape ne dépassait donc pas indûment la pensée du Concile, comme on le lui a parfois reproché, il contribuait seulement au développement harmonieux de la théologie, en dialogue avec notre temps.

Néanmoins ceux qui entrent difficilement dans les perspectives du Concile ne se sont toujours pas reconnus dans cet ‘esprit d’Assise’ – ou ils l’ont réduit à peu de chose. Ceux qui s’en tiennent rigoureusement aux mots et redisent : « Tout Vatican II, rien que Vatican II » ont constamment répugné à accepter ce que la réunion d’Assise était vraiment. Ils ont forgé une formule étrange : «À Assise les participants étaient ensemble pour prier, mais ils n’ont pas prié ensemble » !

Il est vrai que, ce 27 octobre 1986, les deux discours du pape ont été très sobres, parce qu’il ne voulait pas ajouter des réflexions importantes aux gestes forts qui étaient déjà suffisamment éloquents. Mais, en réponse aux critiques qu’il a reçues après, il a tenu à clarifier sa pensée dans un discours à la Curie romaine, le 22 décembre. Il a notamment rappelé : « Toute prière authentique est suscitée par l’Esprit-Saint qui est mystérieusement présent dans le cœur de tout homme ».[3] Il faudrait pouvoir citer plus longuement ce discours mémorable, mais ce n’est pas le lieu pour développer ces réflexions théologiques.

Je retiens seulement ce que me disait le lendemain Mr. Homi Dhalla, le représentant du Zoroastrisme : « Désormais je ne pourrai plus prier comme avant ; je serai toujours en communion avec tous les priants » ?

Il convient donc de célébrer cet anniversaire dans notre revue, parce qu’‘Assise 1986’ est un évènement emblématique dans l’histoire de la rencontre des religions. Il y est apparu combien la théologie conciliaire du dialogue interreligieux avait déjà pu se développer. – On peut évidemment se demander ce qui en est advenu au cours des années qui ont suivi. Mais c’est là précisément que se situe notre responsabilité. Et nous avons, pour nous y encourager, le témoignage de cette initiative audacieuse et bienvenue de celui qui a récemment été déclaré bienheureux par le pape Benoît XVI. En effet, nous voyons mieux aujourd’hui qu’à la base de notre engagement, il y a cette intuition si bien manifestée à Assise : au-delà des concordances et des complémentarités, il y a une compatibilité fondamentale entre tous les croyants. Les différences irréductibles ne sont pas pour autant occultées, mais une rencontre au niveau de l’expérience spirituelle est toujours possible. Et cette rencontre est une source de grâce.

Puisse notre revue être une invitation à toujours puiser à cette source !

Notes:
[1] Secretariatus pro non christianis, Bulletin n° 64 (1987-XXII/I), pp. 156-160.
[2]Discours final de Jean-Paul II sur l’esplanade devant la Basilique inférieure de Saint-François,  ib. p. 46
[3]Discours aux Cardinaux et à la Curie, le 22 décembre 1986,  ib. p. 69


 

 
 
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