Jacques Scheuer (préface de Philippe Cornu), SAGESSE ET COMPASSION: les deux ailes du bouddhisme
Les Deux Océans
On dit que la meilleure manière de d’approfondir un sujet, c’est de l’enseigner. Voilà un livre qui en donne la preuve. Il est le bon fruit des années durant lesquelles Jacques Scheuer a enseigné les religions extrême-orientales, dont le bouddhisme, à l’Université catholique de Louvain-la-Neuve et aux Facultés jésuites de Paris (Centre Sèvres), pour ne pas parler de sa longue présence aux Voies de l’Orient (Belgique). L’auteur est aussi un des ceux qui ont la capacité appréciable de prendre ses lecteurs par la main pour les conduire, page après page, à travers des sujets qui sont d’un abord difficile. Il annonce clairement dans son avant propos la double tâche qu’il assume : « préciser le sens et la portée de ce qu’est la « sagesse », de ce qu’est la « compassion » et « explorer la nature de leur lien, de ce qui les différencie et les unit, de ce qui accorde à l’une comme à l’autre d’être vraiment ce qu’elle est – dans la lumière du bouddhisme » (p. 22).
Pour saisir la nature des obstacles qui guettent quiconque désire faire un travail de ce genre, il suffit de penser au fait que très, très souvent il n’existe pas dans les langues occidentales d’équivalents des termes bouddhiques qui sont ceux qu’on trouve dans les langues comme le sanscrit ou le chinois (l’auteur explique fort bien ce problème, cf. p. 22-24).Et puis; le bouddhisme, selon l’époque, le courant ou école, la culture et les religions dominantes dans les régions où il est apporté, devient pluriel à cause des multiples facteurs auxquels il doit s’adapter… tout en gardant une réelle unité. Mais le bouddhisme continue d’une façon ou d’une autre à s’organiser autour de la « sagesse » et de «la « compassion », même si la manière dont elles se situent l’une par rapport à l’autre peut varier « avec des étapes en ‘clé’ de sagesse » alternant « avec d’autres en ‘clé’ de compassion ». Et à travers seize chapitres l’auteur donne des pistes pour comprendre ce qu’il appelle « un heureux mouvement sans commencement et sans fin ».
Les « deux ailes du bouddhisme » sont la constante présente tout au long de ces chapitres, mais chacun aborde la question à partir de l’un ou l’autre aspect essentiel : la décision du Bouddha d’enseigner aux autres la Voie qu’il a découverte, par exemple, ou le lien qui existe entre la pratique du don (générosité) et celle de la « sagesse » et de la « compassion ». Dans certains de ces chapitres nous découvrons des grands textes du bouddhisme : Le Sûtra du Lotus, L’enseignement de Vimalakirti, La Marche vers l’Éveil qui « parlent » chacun à sa manière de la « sagesse » et de la « compassion ». D’autres chapitres encore nous emmènent en Chine et au Tibet toujours pour nous aider à mieux comprendre comment fonctionnent ces deux ailes du bouddhisme. Le livre s’achève par un chapitre très intéressant sur le « bouddhisme engagé » qui nous en montre la spécificité et la pertinence pour notre monde d’aujourd’hui, en s’appuyant sur deux figures bien connues en France (le Dalaï Lama et Thich Nhat Hanh) et une plus connue aux USA (David Loy).
Un des aspects les plus impressionnants de ce livre est l’utilisation très astucieuse des extraits (tous courts et tous pertinents) tirés le plus souvent des textes canoniques du bouddhisme et parfois des auteurs contemporains. L’auteur attire l’attention du lecteur sur un terme extrêmement important dans le bouddhisme (surtout du Grand Véhicule) mais auquel on n’accorde que rarement l’attention qu’il mérite. Il s’agit du terme « Spontanéité » (sous ses différentes formes) : c’est une des clés pour comprendre la cohérence interne de quasiment toutes les écoles qui s’inspirent de l’enseignement du Grand Véhicule sur la « nature de bouddha ».
Un livre indispensable pour tous ceux qui souhaitent découvrir le bouddhisme ou même approfondir une connaissance déjà acquise. Ni trop technique, ni trop simple, il aura également une place de choix dans la bibliothèque de ceux qui cherchent à comprendre pourquoi tant d’occidentaux sont attirés par cette tradition.